30 décembre 2008

LA LEÇON DE FRANÇOIS TRUFFAUT


LA LEÇON DE FRANÇOIS TRUFFAUT



In APTE Paris, n°4 1988 Pages 44 et suivantes.


Je venais de terminer trois courts métrages, c'était en 1957, j'étais là, sur les Champs Elysées, face à François Truffaut: il laissa tomber cette phrase qui me rendit perplexe :

« Ne mets pas la caméra à la place du bon dieu" .

Au cours de ma vie professionnelle de réalisateur et de formateur aux pratiques de visionnement et de réalisation de documents audio-visuels et au fur et à mesure que François Truffaut avançait dans son oeuvre, cette expression prit la forme d'une leçon.


LE REGARD DE CELUI QUI EST EMBARQUÉ DANS LE RÉCIT.


Elle apparaît porter en elle trois réflexions.

La première sur le film lui-même : la caméra, par sa place, va sur la surface de l'écran exprimer un point de vue ; ce point de vue, s'il n'est pas toujours le même, ne peut être le point de vue d'un regard extérieur au film lui-même, il ne peut pas être le regard de celui qui assiste en témoin hors de l'action, le regard de celui qui juge, de celui qui n'est pas engagé dans le débat. Ma caméra ne doit pas avoir le point de vue du bon dieu : elle doit être le point de vue de ceux qui sont embarqués dans le récit filmique.


LE RESPECT DU SPECTATEUR .


La seconde réflexion porte sur la narration. Pour cette interprétation, j'eus recours à un fait qui me frappait au cours du tournage des "Quatre cents coups", à propos de la scène où Antoine Doinel est confronté à la psychologue. Dans la première ébauche du scénario, Francois Truffaut montrait qu'Antoine anticipait sur l' attitude de la psychologue : il répondait ce que la psychologue attendait et non ce que son histoire l'aurait amené à répondre; au cours du tournage et après discussion avec son entourage, François Truffaut abandonna cette version pour le récit d'un enfant qui tente devant la psychologue féminine et maternelle de trouver compréhension . J'avais eu de la peine à accepter ce revirement à propos d'une scène qui, idéologiquement, me convenait.

"Ne mets pas la caméra à la place du bon dieu " m'apparaît signifier aujourd'hui en référence à cette anecdote : ne place pas dans le déroulement du film une scène qui peut dérouter un instant le spectateur pour la seule raison qu'elle ne te satisfait pas, pense qu'elIe risque de faire capoter le thème central. Ce principe du respect du spectateur, cette place "essentielle"qu'il lui donne montre que Francois Truffaut s'intéresse d'abord au spectateur et non à la satisfaction de ses propres interpré- tations des faits. Le film atteint son but, c'est-à-dire le public quand il donne à voir au public tout ce qui lui facilite sa participation à la narra- tion. Cela ne veut pas dire que François Truffaut simplifiait ces histoires pour les rendre accessibles ; il y introduisait le point de vue que le spectateur peut accepter, il ne considérait pas le sien comme celui du « bon dieu ».


AFFAIRE DE RAISON.


La troisième réflexion concerne la production cinématographique, il ne se concevait pas comme un cinéaste qui pouvait ignorer qu'il était responsable d'une équipe, d'un investissement. Le respect de on environnement de travail guidait la place de sa caméra comme le raconte Marcel Bérbert : " François avait prévu un grand panoramique à 360 degrés. Le décor était vieux, abîmé, il fallait donc le rénover, ce qui aurait coûté X millions de francs. François a trouvé cela ridicule. Il s'est contenté d'un pano à 130 ou 140 degrés ... Pour François , ce n'était pas une question d'argent mais de raison. » (1) Revoyons le film de François Truffaut et soyons attentifs; si les acteurs n'y font pas de mimiques, si pourtant nous comprenons si bien les intentions, les sentiments des personnages, c'est que le regard, que nous portons sur eux à l'écran, est le point de vue d'une caméra qui est à la place d'un regard engagé dans le récit filmique. Dans "Le dernier métro ", le seul plan d'un empilement de casquettes nous fait comprendre les sentiments de ceux qui, dans le film. le voient : le geste théâtral est inutile. la réplique ne s'impose pas. Quand nous suivons le récit et qu'à la fois nous saisissons la poésie, l'humour. la citation , François Truffaut ne nous impose pas sa version des faits, il choisit celle qui convient au spectateur; cela ne veut pas dire qu'il appauvrit le texte : Yannick Mouron met en évidence, actuellement dans un travail de chercheur, la place du discours de François Truffaut dans cinq films "Jules et Jim", "La peau douce", "Les sirènes du Mississipi ", Les deux anglaises et le continent ", La femme d'à côté ". ces films représentent une tentative de réponse à la question : "Comment peut-on vivre le couple", et en disent l'impossibilité de le faire sans souffrance: "Truffaut avait d'ailleurs la conviction que par ces films. il tuait un discours sur le couple ... " (2).
Dans"Le dernier métro", Il suffit d'un enfant. d'un passant. d'un bac avec des plants de tabac pour que le spectateur puisse rapprocher l'époque du tournage du film 1980 et l'époque représenté à l'écran 1942-1945 : les plants de tabac de l'occupation allemande présents dans la mémoire d'une partie du public permettent un regard malicieux vers ceux qui, à l'époque qui précède la préparation du film, se considéraient comme des héros parce qu'ils avaient eu aussi des plantations dans leur arrière-cour, des plantations de chanvre indien.
Si vous voulons transmettre une leçon de cinéma qui lui ressemble, commençons par enseigner ces trois principes qui ne demandent qu'un travail de l'imagination et du regard.
Comment le spectateur peut-il le mieux saisir la scène qui lui est donnée à voir?
Comment la scène est-elle le mieux au service du récit que je raconte et que le spectateur se raconte pendant le visionnement?
Comment l'écran peut-il toujours être le point de vue d'un regard qui est embarqué dans le film?
Comment cette scène peut-elle être fabriquée au plus proche du contexte social et économique dans lequel je travaille?

Leçon d'humilité s'il en fut, François Truffaut était une personne qui se voulait morale: " Ne mets pas la caméra à la place du bon dieu ".
Bibliographie
Truffaut, les films de ma vie. Flammarion, 1987.
Aline Desjardins s'entretient avec François Truffaut. Ramsay, 1987.
(1) Le roman de Francois Truffaut. Cahiers du cinéma/éditions de' l'Etoile. 1985.
(2) L'art du récit chez Truffaut. Essai de narratologie appliquée à quelques films de Truffaut. Yannick Mouron.
N.B. Alain Jeannel était assistant de François Truffaut pour "Les Mistons" et "les Quatre cents coups"; la guerre d'Algérie mit fin à cette collaboration.

21 décembre 2008

LA LEÇON DE ROLAND BARTHES


LA LEÇON DE ROLAND BARTHES




Alain Jeannel.




In APTE Paris N°2, 1987, Pages 38 et suivantes.


La notion de régime anthropologique du sens exposée par Roland Barthes joue un double rôle pour l'utilisation des informations audio visuelles dans l'enseignement (Roland Barthes, "Une problématique du sens", Les cahiers de Media- Messages, SEVPEN, Paris 1970)



En premier, elle sécurise les enseignants qui constatent les distorsions entre les exposés verbaux des enfants et des élèves, sur des documents que le développement des médias met à leur disposition et le sens qu'eux, les enseignants, donnent à ces mêmes documents.



Le phénomène n'apparaît pas comme une aberration qui dépend d'une erreur de compréhension de la part des enseignants: il est, parmi d'autres, un possible qui fait partie des études liées à l'anthropologie.
Roland Barthes permet à chacun de se situer par rapport à la question en définissant trois types de régime anthropologique du sens.



«Le régime la monosémie est "un système idéologique social ou institutionnel ou esthétique dans lequel on pense que les messages ou les signifiants ont un seul sens qui est le bon. Cette monosémie. c'est-à-dire la postulation qu'il y a un seul sens. est une forme de ce que les pathologues appellent l'asymbolie "
Le régime de la polysémie "est la forme du langage, au sens très large du terme, des sociétés qui acceptent le langage mythique. Il nous en donne trois versions différentes: la version en quelque sorte archaïque, ethnologique de la polysémie, ou du symbolisme , de la symbolie au sens plein du terme : toutes ces sociétés mythiques pour lesquelles tout est signifiant"; la version hiérarchisée du régime de la polysémie, c'est-à-dire, des modes de pensée "qui acceptent l'idée qu'un signe a plusieurs sens, mais pensent que dans ces sens il y en a un, tout de même, qui est privilégié, qui est vrai"; la version des régimes de sens "qui admettent l'interprétation, le droit à interpréter le signe ".
Une troisième forme de régime du sens serait l'asémie. c'est-à-dire l'absence de sens, ou mieux, l'exemption de sens ".



En second, la notion permet à l'enseignant de choisir un projet visé car elle pose clairement la question des critères de l'homogénéité et de l'hétérogénéité dans la problématique du sens.



Dans le premier cas. le sens attribué à un signe est unique, dans le second cas, il est multiple: un même signe donne à l'individu la possibilité de dire son interprétation.
Il est nécessaire de remarquer ici que le régime de la polysémie hié- rarchisée, dans un type d'enseignement où la sanction de l'examen montre que l'enseigné a acquis une norme, est le plus proche du système éducatif français. Ce constat montre que , si cet enseignement accepte le régime de la polysémie dans la pratique pédagogique, il le refuse en tant qu'objectif didactique en instituant qu'un seul sens, celui de la norme : il y a donc utilisation de l'hétérogénéité comme pratique pour obtenir l'homogénéité comme objectif.
C'est dans ce contexte que Roland Barthes et Christian Metz soutiennent la recherche dont Marie-Louise Haumont présente une synthèse précise dans la revue Media sous le titre « Une approche analytique des processus de verbalisation: pour éclairer les chemins obscurs de l'image à la plume »:



« Qu'est-ce qui se passe entre le film et l'enfant? Comment l'enfant, une fois absorbées l'image et sa charge sonore - bruits, musique, dialogues, commentaires va-t-il transmettre ce qu'il a reçu? Et si on lui demande en outre de noter par écrit ce qu'il a vu et entendu, comment va-t-il communiquer l'univers enregistré ? Quels sont les obstacles dressés entre la perception du message et l'expression écrite de cette perception? De quelle façon seront-ils surmontés? Quels ressorts seront mis en jeu? " (2).

Entre le film et l'élève, il n'y a aucune intervention de l'enseignant, aucune explication, rien qui s'interpose entre l'impression reçue et son expression dans un texte écrit. L'enseignant accepte que la multiplicité des informations contenues dans chaque film exclut l'idée d'un compte rendu exhaustif: le compte rendu pose un choix personnel qui engage l'auteur du compte rendu: « il communique une vision, non un contenu." (2)
L'hypothèse pédagogique de départ s'est appuyée sur la recherche d'une typologie des sens donnés aux films par l'élève sans qu'il y ait, au préalable, une intervention de l'étude du document en soi, le processus didactique s'intéresse au message transcrit par les élèves et aux relations s'y manifestant entre le message perçu et le message transcrit. La conduite des travaux nécessite l'introduction d'autres paramètres qui apparaissent lors de l'analyse des produits des élèves; la procédure consiste à nommer « élément», toute information sur le film contenu dans le texte écrit de l'élève. Ces éléments sont classés en trois catégories ordonnées en trois colonnes.
Ainsi, trois types de verbalisation sont définis:
Dans la première colonne les éléments dont le choix reste sans expli- cation. C'est la colonne des constats qui ne s'intègrent pas dans l'en- semble, dont on n'aperçoit pas le rôle; ces notations demeurent sans suite ni conséquence dans son récit: « Cette verbalisation de type 1 ne trahit rien de la personnalité dont elle émane ni de la qualité du film qui la suscite »(3) Pour peu qu'elle soit employée exclusivement elle ne peut transmettre au lecteur la cohérence de l'oeuvre décrite.

Dans la deuxième colonne 2, se placent les éléments qui effacent au contraire le contenu de l'image au profit de ce que l'image suggère: « Le petit garçon était mécontent car elle l'avait quitté»(3). On ne dit pas quelles images expriment par exemple son sentiment.

Disons pour achever de définir le contenu des deux premières colonnes que le lecteur pourrait combler les manques de la colonne 1 en posant des questions qui appelleraient des réponses classées dans la colonne 2 et vice· versa.

La troisième colonne engrange des informations complètes, qui n'exigent aucun éclaircissement complémentaire: les images y sont à la fois communiquées et interprétées. Par exemple, les objets cités sont situés dans le déroulement du récit, dans leurs rapports avec les êtres et dans leur rôle. L'élément sonore, lui aussi est mis à sa place et les ressorts psychologiques sont indiqués.

Une fois que les trois types de verbalisations sont établis en trois colonnes pour chaque élève , les dominantes de chaque compte rendu apparaissent et il est possible d'établir alors un classement des participants en quatre groupes qui mettent en évidence les processus de verbalisation représentatifs.

Groupe 1 : dominante des notations de type 1 (colonne 1)
Groupe 2 : dominante des notations de type 2 (colonne 2)
Groupe 3 : dominante des notations de type 3 (colonne 3)
Groupe 4: mélange à peu près égal de notations des trois types.
S'il est possible de rester au plus près du texte pour définir un type de verbalisation, on ne saurait l'être pour étudier le processus qui conduit à ce type puisqu'il faut « chercher les composantes intellectuelles, psychologiques et autres»(3) du compte rendu, ce qui ne peut aller sans une bonne part de suppositions.
C'est la colonne 2, bien entendu, qui va nous fournir les indications les plus précieuses pour le classement des processus de verbalisation, par ce que nous y trouverons ou par ce que nous n'y trouverons pas.
L'intervention de l'élément verbal « plus objectif, moins polysémique que l'image »(3) permettra de recueillir des informations plus précises par le relevé intégral de l'élément verbal des films ce qui permettrait dans un second temps consacré à l'analyse filmique, d'étudier en connaissance de cause l'utilisation faite par les élèves des commentaires et des dialogues.
Cette confrontation entre textes entendus et textes reçus « permet de voir que, partant d'éléments tirés réellement du film, la verbalisation se prolonge comme d'elle-même en puisant dans ce que l'on peut appeler un acquis culturel: ce que l'on sait, ce que l'on connaît de cet élément indépendamment du film»(3), Il est important de cerner le rôle joué par l'acquis culturel en étudiant le processus individuel de verbalisation de chaque enfant pour rester dans le domaine de la transmission de connaissances qui met à distance l'analyse psychologique à laquelle la méthode ouvre une voie possible:
- «Quand intervient l'acquis culturel: au moment de la perception du film ou seulement pour les besoins de la verbalisation ?»
- «De quelle manière il intervient: au niveau du vocabulaire ou de l'organisation du compte rendu?"
- «Jusqu'à quel point la verbalisation encombrée de cet acquis culturel laisse place à ce qui vient réellement du film? »
Cinq types de processus sont ainsi définis:
1) Processus de remplacement. Au moment de la verbalisation, l'acquis culturel prend la place du message reçu.
2) Processus de détachement. Il élimine au contraire tout ce qui fait intervenir l'acquis culturel.
3) Processus de fusion. Il conserve l'organisation de la perception.
4) Perception de confrontation. L'acquis culturel intervient tout à fait consciemment.
5) Processus d'emprunt d'un modèle. Le compte rendu prend la forme d'un résumé ou d'un jugement.
Si une telle pratique se réfère dans certains cas « au modèle scolaire, type courte rédaction»(4) en fonction du rôle de l'environnement - classe sur l'expression des élèves, il n'en reste pas moins vrai que la diversité des comportements verbaux des élèves se trouve répertoriée et acceptée. Quand, en plus, il est constaté que chaque changement de document provoque des modifications importantes dans la classification des produits des élèves du groupe, on peut en déduire que beaucoup d'enfants « possèdent un répertoire varié de types de verbalisation » (2). Le répertoire d'ailleurs n'est pas limité à celui que cette expérience permet d'énoncer; il doit être chaque fois découvert par de nouvelles analyses des produits des élèves.
L'examen des tableaux récapitulatifs des processus utilisés dans une classe nous apprend aussi que l'enfant est rarement fidèle à un même processus. Nous voici amenés à considérer la variété des comportements au sein du groupe des élèves et aussi à la disposition de chaque élève: la richesse des différences qui n'était au début de l'étude en aucun cas envisagée.
Cette richesse contredit ce que le bon sens et la pratique scolaire font concevoir des capacités des élèves dans les travaux d'écriture. Rappelons-nous ici le propos de Roland Barthes a propos des régimes anthropologiques du sens: « Beaucoup des manifestations de ce qu'on appelle le bon sens peuvent être interprétées comme des résistances à la symbolisation ».
La reconnaissance dans l'acte d'enseignement de ces différents faits correspondrait à l'institutionnalisation à l'Ecole de l'hétérogénéité :
- hétérogénéité des processus de verbalisation que l'élève choisit pour communiquer avec les autres élèves ou avec les adultes;
- hétérogénéité des modes d'expression à la disposition de l'homme pour transmettre sa pensée.
La méthode consiste à mettre en relation l'appréhension de la façon dont le sens est transmis par l'enseigné et le texte initial (ici les films), qui a servi de motif à la création de cette situation de communication. Elle accepte la multiplicité des découpages en unités différentes d'un même support audio-visuel.

Une fois que le sens attribué au texte audiovisuel, exprimé par l'enseigné est repéré, des relations s'établissent entre les unités ou scènes de cette interprétation proposée et les lieux du texte audiovisuel où l'auteur de cette interprétation situe l'unité.
C'est à ce moment-là et seulement quand l'élève a élaboré "ce scénario de sa réception" qu'il est possible d'introduire une appréhension descriptive qui utilise "la grande syntagmatique de la bande- images" de Christian Metz qui est l'aboutissement des Essais sur la signification au cinéma(5).
Dans un premier temps, le travail que nous proposons consiste à faire découvrir, à partir d'un document, les relations qui s'établissent entre le sens produit par le récepteur et les lieux du document où s'investit ce sens.
Dans un second temps, ces relations favorisent de nouvelles productions de sens.
Pour faciliter la pratique, nous conviendrons que:
- le travail de sémantisation du récepteur se manifeste par des unités de sens;
- la reconnaissance des lieux du document où s'opère ce travail indique des unités signifiantes;
- l'analyse des relations entre les deux unités précédentes produit des unités de signification.
Ainsi est mise en place une description originale des documents audiovisuels : originale, non parce qu'elle se distingue des principes de la description sémiologique mais parce qu'elle est particulière à chaque individu ou groupe qui la pratique et qu'elle cherche à puiser les premiers éléments dans le processus anthropologique de la sémantisation. Elle est proche des descriptions sémiologiques qui donnent lieu à la publication d'œuvres comme « Muriel »(5) à condition que ces descriptions ne soient pas institutionnalisées comme seule structure possible et restent comme le disent les auteurs, le résultat de leur implication.

Roland Barthes en compagnie de Christian Metz nous ouvre aussi cette voie. Avons-nous su en transmettre les clés qui se trouvent à leur origine dans cette notion du régime anthropologique du sens?
Médigraphie
1) " Une problématique du sens », R Barthes in Les Cahiers de Media Messages, 1970, SEVPEN.
2) « Une approche analytique des processus de verbalisation: pour éclairer les chemins obscurs de l'image à la plume », M.L. Haumont, Media n° 31.
3) Processus de verbalisation des informations audiovisuelles, A. Jeannel, CNDP CRDP Bordeaux, 1977.
4) Note de Marc Vernet, commission INRP,1979.
5) Essais sur la signification au cinéma, <<christian Metz, Editions Klincksieck, 1967.
6) Claude Baible, Michel Marie, Marie·Claire Ropars commencent avec 1( Muriel, Editions Galilée, 1974) un type d'étude que d'autres poursuivent et que J. Douchet et M. Cuzuki présentent en 1986 sous une forme sophistiquée en vidéo sous le titre " L'analyse par l'image de M. Le Maudit de Fritz Lang"

Films et émissions de télévision d'Alain Jeannel relatant ces expériences:
L'école en projet.
Vidéo sur la route.
Les médias et l'école: le diaporama .
Choisir et créer.
Un autre espace: l'écran.
Un professeur, des élèves, une caméra .
Une élève est passée, peut-être une femme Les médias et l'école.
le vidéogramme.
cf.: filmographie dans le Blog.

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12 décembre 2008

Actes du colloque tenu à l'Ecole Normale Supérieure de Marrakech les 27 et 28 avril 2007 sous le thème: "Les pratiques de formation et l'approche par compétences."
Editeur: ENS de Marrakech, 2008.
« Entre modernité et connaissances acquises:
Quelle place de la téléinformatique
et de l’enseignement assisté par ordinateur dans la formation des enseignants ? Pour quelles compétences professionnelles ? »

Professeur Alain Jeannel, Université de Bordeaux.
Directeur : Centre Régional Associant le Céreq au SPIRIT Sciences Po Bordeaux.


Introduction : Industrialisation de l’enseignement et Société cognitive.
Un produit industriel est détourné de sa première vocation pour être mis au service de l’enseignement : ce fut le cas de l’imprimerie avec l’édition de textes puis de textes accompagnés d’images qui permit l’évolution de l’enseignement dans la République française au cours du 19ème et du 20ème siècle.
Nous pouvons constater que si les méta discours prennent en compte cette évolution, l’observation du déroulement des classes montre que les pratiques antérieures demeurent : dictée de cours redondant avec le contenu du manuel, utilisation du livre uniquement comme sources de textes d’exercices. Cela pose la question du rapport entre d’une part le mimétisme des comportements que l’enseignant a acquis lorsqu’il était élève en assistant aux pratiques de ses maîtres et d’autre part les fondements de la didactique et de la relation pédagogique quand la parole vient du maître et non de la médiation par un ouvrage dont le maître n’est point l’auteur.
Quand l’utilisation sociale et professionnelle d’un nouveau produit industriel et son poids économique imposent que ce produit devienne un outil d’enseignement, il est nécessaire d’étudier les modifications de comportement attendues chez les élèves pour qu’elles soient prises en compte dans la formation des enseignants et plus largement dans l’information destinée à toute personne concernée par l’éducation. Le problème posé à la formation des enseignants remet à l’ordre du jour la relation soit à la parole de l’enseignant soit au livre scolaire telle qu’elle s’est posée au cours du 19ème et 20ème siècle en France
La reconnaissance de la place des machines à transporter et à traiter de l’information, à mettre en réseau des sites privés et publics construites à partir d’un modèle mathématique se traite en prenant en compte d’une part les modifications sociétales que la diffusion de ces machines provoque et d’autre part les pratiques pédagogiques et didactiques qu’elles mettent en œuvre sans omettre la culture scolaire antérieure dont l’élément dominant est la répétition par le futur enseignant des comportements de ses propres enseignants. Cette évolution scientifique et technologique imprime sa marque dans le système d’enseignement et d’éducation. Ce fut bien l’objet des missions des futures cadres de l’enseignement français en 1948 dans le cadre du plan Marshall (collaboration économique et stratégique entre certains pays européens et les Etats Unis d’Amérique) : il prévoit de modifier le comportement des enseignants par l’utilisation des nouvelles techniques et plus particulièrement par les techniques audio-visuelles (A. Jeannel, 1999).

1 - Enseignement et Sciences cognitives.

A partir des années 1990, le développement de « l’imagerie », qui combine les apports de la machine à calculer et des sciences physiques pour la transmission des informations, permet de mieux comprendre comment notre cerveau fonctionne et comment notre pensée est susceptible de s’y développer. Les résultats de ces recherches réorientent les problématiques des méthodes d’enseignement comme le montre le programme de « l’Institut de Cognitique » de l’Université de Bordeaux en orientant la formation vers les thèmes qui suivent :
Le rapport entre l’Informatique et l’automatisation comprend le traitement du signal, l’informatique cognitive, l’intelligence artificielle, les réseaux de communication, la réalité virtuelle.
L’ingénierie cognitive traite des facteurs humains, cognition individuelle et contraintes de fonctionnement.
L’adaptabilité des systèmes artificiels ou hybrides aux contraintes des fonctionnements cognitifs individuels et collectifs pose les rapports homme/machine et hommes/systèmes-complexes.
Ce développement d’une ingénierie de l’intrusion du « numérique » dans la vie humaine et professionnelle se doit d’aborder les questions de l’ergonomie et du management des systèmes complexes ( A.Hatchuel B. Weil , 1992).

Classiquement, les psychologues ont étudié les événements mentaux et en particulier ceux qui participent à la construction de la connaissance indépendamment d’une connaissance descriptive donnée par l’imagerie médicale du cerveau, qu’il s’agisse de la psychologie expérimentale ou de la psychologie analytique. L’imagerie cérébrale fonctionnelle propose de prendre en compte le cerveau avec la possibilité de construire des modélisations informatiques qui simulent des processus cognitifs : il s’agit de déterminer comment un modèle possédant la structure et les propriétés d’un cerveau peut générer un comportement qui s’inscrit dans les orientations proposées par « l’Institut de Cognitique ».
Si nous commençons à apercevoir les apports des neurosciences en psychologie cognitive, les débats que suscitèrent des pratiques et les apports scientifiques précédents permettent de faire des choix parmi les possibilités qui s’ouvrent.
Prenons comme exemple la modélisation informatique en neurosciences cognitives conduisant à l’élaboration d’injonctions ayant pour objectif de produire un comportement déterminé.
Son application dans l’enseignement pourrait contraindre l’apprenant à des comportements réflexes faisant abstraction de toute distanciation par rapport à l’objet étudié : les pratiques perverses engendrées par des applications du béhaviourisme nous rappellent l’importance d’éviter en éducation toute économie explicative que par exemple les débats autour des travaux de B.F.Skinner (1953) ont mis en évidence et ceux sur les rapports entre l’éthologie et la psychologie expérimentale.
Si la neuroscience ouvre la voie à l’identification des zones du cerveau marqués par les empruntes des traumatismes qui ont marqué la vie de l’individu, elle ne peut identifier les composantes de l’histoire de vie qui constituent la mémoire. Ces traumatismes interviennent au cours des apprentissages, la connaissance des situations précises qui les ont provoqués permettent d’envisager de les abréagir (G. Devereux, 1967, 1951-réédition revue en 1998) ou de prendre acte des processus de résilience (Joyce Aïn, 2007 ; B.Cyrulnik et Edg.Morin, 2000) pour qu’elles ne créent pas un apprentissage rendu impossible.
Sous son aspect formel, l’enseignement programmé basé sur l’utilisation d’une construction informatique pourrait être confondu avec une modélisation de la neuropsychologie ; cependant la confusion entre les deux constructions ferait l’économie de la genèse de ces deux produits d’une architecture liée à l’informatique : l’une a pour origine les neurosciences, l’autre la didactique d’une discipline. La synergie entre ces deux modèles considérés comme fondamentalement distincts ouvre de nouvelles voies à l’enseignement programmé en prenant en compte les caractères propres du cerveau.

2 – Communication représentation et communication expression.

L’introduction des machines à communiquer dans l’espace scolaire et étroitement liée historiquement aux phénomènes politiques, sociologiques et économiques que l’amplification d’un message provoque tant au niveau de son amplitude que de sa diffusion.
D’un point de vue politique, il s’agit de distinguer la communication représentation de la communication expression et d’éviter toutes les confusions qui conduisent à l’effet Frankenstein qu’illustre l’expression « l’ordinateur est son meilleur ami », prendre un outil de communication représentation pour une expression de la relation à l’autre.
Dans la théorie mathématique de la communication (W.Waever et C.E. Shannon, 1949-1975), l’émetteur à partir d’une source d’information transmet sur un canal un signal que le récepteur transforme en message pour le destinataire. Ce modèle qui met en évidence le bruit qui peut exister sur le canal est affiné par la notion de pilotage et de feed Back en référence à la théorie de la cybernétique. Ce modèle de communication met en scène un message qui représente les deux protagonistes : « le message représente l’émetteur auprès du récepteur, à travers des intermédiaires localisés qui représentent eux-mêmes des agents » (L.Sfez, 1988). Ce mode de communication est celui qui relie un individu à une information émise par un autre ou par un groupe en suivant une procédure d’opérations programmées par des ingénieurs, une suite séquentielle de représentations. Ce mode de communication est celui de l’élève face à son ordinateur, celui de l’élève face au maître qui restitue le discours unique d’une institution, modèle implicitement institué en France. Dans ce cas, la transmission de la connaissance existe quand il y a parfaite adéquation entre les différents éléments qui composent la chaîne de la communication quand l’entropie est nulle.
Etant donné que tout effet de retour quand le message n’est pas compris par le destinataire est faite dans la même programmation avec les mêmes codes, il ne peut y avoir progression dans l’échange : Allant de la méthode Assimil rendue célèbre quand des secrétaires pouvaient augmenter leur salaire par l’apprentissage de la langue américaine lors de la victoire de 1945 au didacticiel promu pour résoudre la massification et la démocratisation de l’enseignement, La pratique de machines à enseigner montre qu’elles sont productives au niveau de la transmission de connaissances quand l’émetteur et le destinataire ont les mêmes codes tant au niveau du rapport au contenu de l’enseignement qu’à celui de la motivation à apprendre ; les abondons de ces investissements coûteux prouvent les incompétences cognitives de l’émetteur vis à vis du destinataire et celles du destinataire vis-à-vis de l’émetteur.
Cette situation trouve une correction qui rappelle le débat soulevé entre la parole du maître et l’utilisation d’un support de médiation tel que le livre entre maître et l’élève. Il existe un autre modèle de communication dans la relation entre l’enseignant et l’enseigné, celui de la communication expression. Dans le cas de communication représentation, les sciences cognitives sont un nouvel apport à l’enseignement en posant les bases d’une relation entre le fonctionnement du cerveau et les systèmes numériques transmettant une connaissance, dans la communication expression, les sciences cognitives et plus particulièrement les neurosciences apportent des connaissances sur les émotions, éléments fondamentaux de cette forme de communication.
En passant d’un modèle de communication à l’autre, le registre sensoriel change: dans la « communication représentation », nous sommes dans le domaine du visible qui représente une absence, celui de l’émetteur et de la complexité de l’objet représenté (dans l’image animée d’un homme est absent ses organes vitaux) ; dans la communication expression, nous sommes dans celui de l’audible, du sensible , le rapport au temps devient de l’ordre de la simultanéité et non de celui du temps qui s’écoule pendant les actions successives séquentielles de « communication représentation » . Les êtres dans cette situation de communication expression sont reconnus comme faisant partie d’un tout dans une continuité reproductive et dans une discontinuité aléatoire (Edg.Morin, 1990) ; la communication expression poursuit sa propre finalité, elle n’est plus sous la contrainte d’un ordre séquentielle : certains diraient qu’elle tourne en rond, d’autres pensent que le propre de cette circularité est un processus évolutif qui se construit dans l’interaction (G.Bateson, 1979, 1984).
L’observation de classes montre que ces deux types de communication sont présents. L’introduction de la communication et de l’information par l’utilisation de produits industriels comme l’ordinateur, le tableau électronique permettent de prendre conscience de ces deux modèles, d’en comprendre les processus en analysant que certaines communications dans l’enseignement qui se font en dehors de toute utilisation de machines peuvent être de pure communication de type représentation. Les sciences cognitives apportent leur contribution sans modifier les fondamentaux de la didactique et d la pédagogie, elles apportent les éléments d’une confirmation ou infirmation de certains objectifs de ces deux modèles de communication pratiqués dans l’enseignement.
La compétence professionnelle de la compréhension de ces deux modèles par les membres de la communauté éducative permet aux enseignants d’avoir une analyse réflexive sur les choix politiques qui correspondent à quatre situations différentes :
Un équilibre dans la pratique des deux modes de communication crée une synergie entre la représentation par un signifiant de la connaissance, partie de la didactique, et l’expression sensible partagée entre les enseignants et les enseignés, partie de la pédagogie.
Une priorité donnée au modèle « communication expression » développe une compétence relationnelle entre les participants avec le risque d’une transmission réductrice de la connaissance.
Une priorité donnée au modèle « communication représentation » provoque l’abandon des enseignés qui ne possèdent pas les mêmes références que les enseignants.
Une volonté politique donne les qualités de l’un des modèles à l’autre modèle et vice versa ( E. Landowski, 1989), ce qui provoque l’effet Frankenstein (S.Sfez, 1988) en confondant la décision humaine capable de rupture et la machine, tel que l’ordinateur, seulement capable de reproduire des représentations ( J.Ellul, 1990) ce qui est la spécificité de la production industrielle de séries. Distinguer les quatre modèles de communication pour faire le choix de sa pratique d’enseignement est une compétence dans le sens où elle concerne à la fois un choix éthique avec une valeur morale individuelle et une finalité didactique et pédagogique à valeur déontologique.

3 - Des matières de l’expression.
Comme nous l’avons étudié, précédemment, la communication avec une machine est basée sur l’utilisation de représentations graphiques, d’images visuelles, de sons qui peuvent être co-actualisées ou reçues indépendamment.
Nous assistons à l’apparition de plusieurs situations que la convivialité de l’ordinateur nous fait oublier.
La première est dans la continuité de l’évolution de l’imprimerie la mise en page de textes et d’images sous la forme d’infographie : de la part des concepteurs, cette mise en regard d’un texte et d’une image dans une mise en page significative a la volonté d’établir des liens entre ces différentes matières de l’expression, elle réclame de la part du destinataire trois compétences : celle de la compréhension du texte écrit, celle de l’analyse de l’image analogique, graphique ou de synthèse, celle d’un aller et retour entre un texte et une image.
La seconde est l’apparition de nouvelles images obtenues par des techniques industrielles qui apportent des représentations du monde propres à l’évolution scientifique : elles interviennent directement dans les programmes académiques, à titre d’exemples, nous citons l’échographie obstétricale qui modifie la perception anthropologique de l’enfant à naître (D.Lanoix Rulleau, 1994), et les données visuelles de géographie (photogrammétrie, photographie aérienne et visite virtuelle)).
La troisième est des échanges entre correspondants par le truchement de la machine soit par l’écriture soit par l’oralité soit par la combinaison des deux avec ajout d’images. Il y a ici reprise de certaines situations que le développement du téléphone avait mises en place.
Cette liste n’est pas exhaustive ; elle correspond aux utilisations les plus courantes mais souligne déjà la diversité des apports et des modifications des comportements résultantes de l’introduction de la machine dans l’enseignement tant au niveau de son utilisation que des nouvelles représentations visuelles et sonores qu’elle apporte.
Si traitant de la communication, nous avons posé le problème en termes politiques, ici nous le posons en termes d’apprentissages avec ses deux aspects pédagogiques et didactiques, la multiplication et la combinaison de différentes matières de l’expression.
Il s’agit de distinguer d’une part les pratiques empiriques qui donnent des compétences implicites d’autre part les constructions conceptuelles qui créent des connaissances, base de pratiques raisonnées. Deux orientations sont représentatives de cet objectif d’enseignement : l’une consiste à un apprentissage par la production scolaire d’objets qui utilisent ces matières de l’expression ; l’autre place l’enseignement du côté du récepteur et propose d’analyser ses différents effets sociaux et psychologiques.
La première situation est créative et prend en compte les limites d’un enseignement qui nécessite le choix d’objectifs précis au détriment de la complexité de la production et de la mise sur le marché d’un produit industriel.
La seconde traite de la complexité de la situation de récepteur que l’enseignement résout par le choix de problématiques déterminées et explicitées.
La multiplicité des combinatoires possibles des matières de l’expression et leurs multiples aspects qui résultent pose un réel défi à l’enseignement. Leurs interprétations anthropologiques et sociales nécessitent une veille scientifique sur les liens entre la forme visuelle et la perception visuelle dans l’approche des produits industrielles pour l’enseignement (J. Bertin, 1967). En dehors de la formation académique propre à la discipline enseignée, la formation des enseignants doit faire appel à des connaissances extérieures à la discipline elle-même et des pratiques personnelles issues de l’expérience personnelle et collective du futur enseignant. Cette convergence entre de nouvelles connaissances pour la mise en forme du message et de pratiques issues du domaine privé ou collectif devient une compétence attendue de l’enseignant. Son apprentissage fait partie à la fois d’un mode formel qui s’ancre dans la transdisciplinarité et d’un mode informel qui est de l’ordre de la culture personnelle de chacun.

3 - Individu solo, Individu Plus : Place de l’enseignant dans le monde industriel et économique.
Les réseaux télématiques, les télévisions satellitaires, Internet modifient de l’accès à l’information. Des réseaux capillaires de diffusion se créent, qui offrent des possibilités nouvelles de l’accès à la formation et à l’instruction. En 1995, la communauté européenne constate cette évolution dans le livre blanc « Enseigner et apprendre vers la société cognitive ». Elle préconise une série de recommandations à partir du constat : « De plus en plus la position de chacun dans la société sera déterminée par les connaissances qu’il aura su acquérir. La société du futur sera donc une société qui saura investir dans l’intelligence, une société où l’on enseigne et où l’on apprend, où chaque individu pourra construire sa propre qualification, en d’autres termes, une société cognitive. »
Les nouvelles technologies de l’information, en premier lieu la télévision en deuxième lieu les ordinateurs et internet, provoquent une nouvelle organisation sociale et économique (M.Castells, 1998). Cette organisation promeut une nouvelle organisation de l’enseignement d’une part en déplaçant le centre d’attention du contenu de la matière à apprendre à la manière dont on apprend (« apprendre à apprendre ») (Morais, 1998), d’autre part en introduisant le monde industriel avec ses caractéristiques propres dans la gestion de l’enseignement (A. Jeannel, 2001). « Apprendre à apprendre » considère qu’une fois la méthode acquise, l’apprenant mis en relation avec l’information porteuse de connaissances en fera seul l’acquisition.
Se pose la question de la place de l’organisation traditionnelle de la classe avec un enseignant et des élèves, de l’évaluation traditionnelle du système.
La société cognitive pose en préalable que l’apprenant a à sa disposition de nouvelles sources d’information. A la relation sociale dans la classe et dans l’établissement, à la relation pédagogique s’ajoutent les contextes qu’apporte l’introduction des produits de l’industrie de l’information et de la communication. Cette dimension n’est pas nouvelle : traditionnellement, n’est évalué que le résultat scolaire d’un élève, seul face à sa copie, et n’est pas évalué tout le travail hors l’école qu’il a fourni, remise en ordre des notes de cours, entrainement personnel, la multiplication des contextes. L’extension exponentielle des connaissances et l’accès informatisé aux banques de données nécessitent une réflexion sur ce passage de l’évaluation de l’individu solo dans un face à face à la connaissance à l’individu plus dans une séquence de recherche des informations, suivie de l’acquisition de la connaissance (David N. Perkins, 1988).
Pour que l’apprenant accède à l’information il doit avoir les connaissances suffisantes pour définir l’objet de sa recherche, ce constat montre que la société cognitive ne peut faire l’économie du transfert de la connaissance en préalable au projet « d’apprendre à apprendre », formule tautologique. Premièrement, il faut connaître ce que l’on cherche à apprendre pour mener à son terme un nouvel apprentissage. Cette réflexion sur l’enseignement, que la multiplicité des sources d’information, oblige à se poser montre qu’une discipline implique non seulement une connaissance du contenu mais aussi des finalités et des moyens de cette discipline : les conditions d’accès à la bonne information sont liées à la transmission préalable de la connaissance qui n’est pas de l’ordre de la machine mais de l’interrelation humaine. D’un côté est une dimension univoque séquentielle propre aux logiques mathématiques des machines à communiquer, de l’autre est une dimension plurielle faite de dicible et d’indicible propre à l’Homme : la pensée humaniste distingue l’une de l’autre comme fondement de la liberté, d’autres modes de pensée peuvent envisager leur confusion, ou la place dominante d’une dimension par rapport à l’autre.
Deuxièmement, l’apprenant saisit les concepts nouveaux quand il possède les modèles mentaux visuels et auditifs qui permettent de les saisir. Ces représentations renvoient à l’étude et à la compréhension par l’apprenant des matières de l’expression.
Sous son double aspect champ de connaissance et acquisition des représentations visuelles et sonores, l’apprenant interroge ses multiples environnements pour rechercher l’information qui lui est nécessaire. Avec les nouvelles technologies de l’information, ces contextes dépassent l’environnement physique proche pour travailler à partir de l’ensemble des informations disponibles sur les réseaux de la télématique avec comme objectif que ces supports computationnels soient les éléments de la construction de son savoir (A. Jeannel, 1999).
Cette compétence de l’apprenant est pour l’enseignant une nécessité pour qu’il conserve sa capacité à aider « l’apprenant à grandir dans une société et à en comprendre les connaissances et les savoirs qui la constituent», ce qui est le propre de sa fonction sociale.
Qui dit utilisation de réseaux informatiques dit gestion d’une entreprise. L’individu plus est au centre d’une entreprise industrielle avec une gestion des coûts et de la rentabilité. Introduire une machine dans la construction des savoirs des enseignés est bien introduire une chaîne de micro événements (A. Moles, E. Rohmer, 1978) dépendant de l’écart entre d’une part l’activité d’enseignement et d’autre part l’utilisation d’une machine. A la charge psychique déjà grande dans le rapport enseignant /enseignés, enseignant/enseignants, enseignants/administration, s’ajoute celle de l’utilisation de la machine qui provoque « des micro phénomènes, négligeables à la conscience réflexive ». Toutes les études sur l’utilisation des machines à commande numérique montrent que leur pratique sur le lieu de travail demande en permanence une veille pour intervenir au niveau de micro pannes (Y.Clot, 1995); elles provoquent chez l’enseignant et l’enseigné des micro excitations subliminaires qui produisent des états d’angoisse, micro angoisse, micro plaisir, micro risque.
La connaissance du stress que crée cette informatisation du travail scolaire fait partie de la formation des enseignants : elle débouche sur une formation spécifique qui complète celle sur la relation individuelle et groupale, propre au groupe classe, à la situation des petits, moyens et grands groupes (A. Jeannel, 1997).
La réduction des risques de ces pannes nécessitent une maintenance : intégrer le mode industriel signifie la multiplication des métiers participant à l’enseignement et la pratique d’une relation directe entre ces différents professionnels, l’enseignant et l’apprenant donc une multiplication des référents. Les techniciens interviennent avec leur logique industrielle qui devient une partie du système. Ce fait modifie la gestion budgétaire, augmente le budget de l’investissement en matériel et des échéances de son renouvellement. Ces coûts propres à l’industrialisation des Technologies de l’Information et la Communication résultent d’une production et d’une diffusion industrielles de textes, d’images et de sons, ils font entrer l’enseignement dans un système économique déterminé par les décideurs politiques, économiques et sociaux. Que le choix politique soit une économie de marché, fabricatrice d’objets injectés dans la sphère quotidienne de l’être humain pour permettre à ce dernier de réaliser ses désirs en les utilisant comme outils, situation qui ouvre le champ au marketing, ou une économie dirigée, productrice de coûts à partager entre les différents groupes sociaux pour développer la démocratisation de l’enseignement en permettant à chacun d’accéder à la connaissance, dans les deux cas, les systèmes d’enseignement prennent place dans la recomposition du paysage industriel et économique.
Cette gestion rationalise le temps scolaire en fonction des utilisations des machines. Le temps collectif de la réception d’une information, le temps individuel de l’utilisation d’une machine, le temps de la relation individuelle, le temps de la relation groupale forment une nouvelle organisation des emplois du temps avec des mobilisations différentes de l’enseignant et des enseignants (A.Jeannel, 2001).

Conclusion : Du précepteur à l’enseignant de la société cognitive.

Le danger de cette évolution est de considérer que la téléinformatique et l’enseignement assisté par ordinateur permettent de faire l’économie des processus d’enseignement mis en œuvre précédemment au cours d’une lente évolution, marquée par des faits historiques et des progrès scientifiques sur l’Education de l’Homme.
Le développement des points précédents donnent des indications pour la formation des enseignants.
Leur introduction dans le système d’enseignement met en évidence que certaines activités de l’enseignant ne sont pas prises en compte dans son évaluation telles que les pratiques des deux modes de communication : le développement de cette double compétence accompagnée d’une analyse critique serait un des objectifs de cette formation.
Les formations disciplinaires apparaissent comme des préalables à toute quête d’information. Une fois acquises, elles permettent de comprendre les procédures de la recherche documentaire en suivant les propositions des logiciels pour atteindre l’information recherchée : « apprendre à apprendre » est une tautologie séduisante qui nécessite d’être questionnée sur la valeur de l’acquisition préalable des connaissances, sur la transmission des méthodes qui permettent la transmission des savoirs, sur les séquences qui permettent d’augmenter son champ de connaissances et sur les compétences acquises. Une formation des enseignants situe l’utilisation des machines hors des contextes publicitaires qui les promeut pour les mettre au centre de l’acte d’enseignement. S’attachant principalement à l’évolution de l’acte d’enseigner, Marcel Lebrun questionne les mutations provoquées par l’introduction des technologies et propose des pistes de réflexion sur motiver, informer, analyser, interagir, J.M. De Ketele montre tout l’intérêt de cette approche en soulignant que « les technologies ne sont que des technologies et que leur bon ou mauvais usage est déterminé en référence aux finalités et au contexte éducatif et social. »
Là se situe la formation des enseignants dans la perspective de la société cognitive qui fait une place à l’industrialisation des savoirs pour en assurer la diffusion et l’accès dans le but de permettre à chacun une « formation tout au long de sa vie ,L.L.L.»; cette orientation place l’enseignant dans une entreprise où les professions se multiplient et où les risques se différencient.
La formation des enseignants doit appréhender ce monde nouveau de l’enseignement par une compréhension de la place des machines à communiquer dans l’enseignement et de ses multiples langages et matières de l’expression. Elle doit engager un débat sur la finalité de cette société cognitive où chaque individu doit construire sa propre qualification professionnelle avec la capacité de veiller aux évolutions scientifiques, professionnelles. Cette perspective permet de situer les acquis de la pédagogie, art de conduire l’enfant pour qu’il grandisse, et ceux de la didactique, construction de la transmission d’une connaissance, pour en définir toute l’importance dans la nouvelle organisation politique, économique et sociale de l’enseignement. Les pratiques, les nouvelles connaissances, les savoirs partagés forgent de nouvelles compétences qui, comme toute compétence, mettent en synergie l’espace public et le domaine privé, les pratiques et les théories, l’éthique et la déontologie.

Médiagraphie :
J. Aïn, Résiliences : Réparation, élaboration ou création ? Paris, Eres, 2007.
G.Bateson, La nature et la pensée, Paris, Editions du seuil, 1984.
J.Bertin, Sémiologie graphique, Paris-La Haye,Gauthier Villars-Mouton, 1967. Réédition Paris, Editions de l’EHESS, 2005.
M. Castells, « End of millenium.The information age” , Economy,society and culture,volume III, 1998.
Y. Clot, Le travail sans l’homme ?, Paris, Edts La découverte, 1995.
Ed.Cresson , Vers la Société cognitive, CECA, 1995.
B.Cyrulnik, Edg. Morin, Dialogue sur la nature, L’aube, poche essais, France, 2004
G. Devereux, Psychothérapie d’un indien des plaines, Paris, Fayard, 1998, (éditions anglaises 1951, 1962, 1982).
G. Devereux, De l’angoisse à la méthode dans les sciences du comportement, Flammarion, 1980 ( Paris, La Haye,1967).
J.M. De Ketele, http:/www.ucllouvain.be
J.Ellul, La technique ou l’enjeu du siècle, Paris, Economica, 1990.
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A.Hatchuel, www.cgs.ensmp.fr/persoah.
A.Jeannel, « Les nouvelles technologies de la communication et de l’information in Education et\and culture at the dawn of the Third Millennium, Mauritius Institute of Education\Editions le Printemps, 1999.
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A.Jeannel, « Industrialiser le système d’enseignement : enseignement, fabrication, maintenance. » Bayonne Atlantica, 2001.
A. Jeannel - blog : http://alain-jeannel.blogspot.com/
D.Lanoix-Rulleau, L’échographie obstétricale, l’image à l’épreuve du langage, Doc. Université Bordeaux2, 1994.
A. Molles, E. Rohmer, Micro psychologie et vie quotidienne, Paris. Denoel, 1978.
M.Lebrun, « Comment mettre en évidence et développer chez l’apprenant les compétences transversales requises pour préparer l’accès à l’enseignement supérieur », Res acadamica Vol 17, 1-2
J. Morais « Ecra versus alfabeto : a escola perante os novos desafafios » Inovaçao, n° 11. Lisboa :Minstério da Educaçao, 1988.
D. N. Perkins, « L’individu-plus, Une vision distribuée de la pensée et de l’apprentissage », Revue Française de Pédagogie n°111, 1997.
Photogramétrie, WWW.ngi.bc/fr
Photo aérienne et visite virtuelle, www.aeriamge.fr
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W.Weaver et C.E.Shanon, Théorie mathématique de la communication, Paris CEL, 1975.



5 décembre 2008

L’enjeu des enseignants-chercheurs pour le 3e millénaire : La déontologie.


Professeur Alain Jeannel
Université Victor Segalen de Bordeaux 2
Séminaire « L'activité des enseignants-chercheurs : dimensions éthiques et déontologiques », juin 2001 , Université Victor Segalen.
Les aspects structurels et conjoncturels de la situation des enseignants-chercheurs permettent d’étudier les règles et les « a priori » qui président à la production des résultats de recherche, à leur utilisation dans l’enseignement universitaire et aux articulations entre recherche et enseignement universitaire. L’étude des convergences entre ces règles et la déontologie peut mettre en évidence l’incompatibilité des choix des enseignants-chercheurs avec une position déontologique. Elle peut permettre de définir l’existence d’un énoncé possible d’une déontologie pratiquée par cette communauté, ou elle peut ouvrir des pistes de réflexion pour construire les bases d’une déontologie.

Des situations : deux modèles de la recherche en Sciences de l’homme.
Comme nous allons le voir, certains chercheurs en Sciences de l’Homme éprouvent la nécessité à mettre en perspective leurs activités avec les relations qu’ils établissent avec les publics qui leur fournissent les informations indispensables à leurs travaux en sciences humaines et sociales.

Ainsi, dans « Psychothérapie d’un indien des plaines », Georges Devereux nous montre les rapports qui existent entre un objet de recherche et une relation à une personne qui apporte des informations, en insistant sur le déplacement qui peut s’opérer : « Cet ouvrage décrit le processus par lequel, au cours d’une psychothérapie - entreprise d’abord comme sujet de recherche – un indien des Plaines souffrant d’une névrose symptomatique compliquée a recouvré au niveau supérieur à l’adaptation qui était la sienne avant le déclenchement de sa maladie » (Devereux, 1951).

Pour sa part, Renaud Sainsaulieu retrace « l’étonnement d’un psychologue et d’un juriste de formation universitaire face à la réalité du travail en atelier » dans le cadre d’une hypothèse générale où « le phénomène organisationnel étant considérable à notre époque, il ne peut manquer de médiatiser en toute institution la reproduction des conduites et des cultures ». À ce propos, il relève la position qu’il occupe au regard des personnes que son enquête l’amène à rencontrer :

« C’est plus particulièrement dans le dernier atelier , celui des fours à gâteaux, que j’ai compris qu’on m’acceptait comme une sorte de messager de trouvère, capable de venir parler et témoigner d’un autre monde, où les idées s’agitent et se confèrent aux hommes le moyen de comprendre et de s’affirmer par le raisonnement , parce que l’expérience multiforme de rencontres, d’échanges de compréhension s’alimente aux possibilités variées de la vie urbaine, étudiante, de vacances , de famille… » (R.Sainsaulieu, 1977.).

Enfin, Olivier Schwartz présente en ces termes la méthode anthropologique qu’il a utilisée pour construire sa thèse sur « Le monde privé des ouvriers : hommes et femmes du nord –1980 1985 » : « une règle déontologique élémentaire du travail du sociologue veut que l’anonymat des personnes enquêtées soit garanti. Pour ceux de mes interlocuteurs qui m’avaient le plus largement découvert leur vie, il était indispensable d’assumer l’existence de ce livre. Il est six personnages qui furent les phares de cette enquête, tant par la richesse de leur problématique que pour leur capacité à communiquer ; je me suis entretenu avec eux de la publication de cet ouvrage ; je leur ai demandé leur accord pour évoquer des aspects très privés de leur histoire de leur vie présente… » (Schwartz, 1990).

En somme, le chercheur travaille au sein d’un ensemble d’individus pour étudier des pratiques: le chercheur construit son activité à partir des actes de cet ensemble d’individus. Dans son texte, Georges Devereux indique que la situation du chercheur peut basculer en situation clinique sans que, pour autant, le travail du chercheur soit abandonné, preuve en est la publication qu’il en propose. Cette attitude est explicitée dans « De l’Angoisse à la méthode » (Devereux, 1967). De son côté, R. Sainsaulieu montre que le groupe dans lequel le chercheur intervient est en droit d’attendre de sa part un apport que le groupe seul peut déterminer ; il fait voir avec des exemples précis combien il eut l’impression de ne point être capable de répondre à cette attente, alors que chaque membre du groupe livre les informations qu’il attend. Enfin, O. Schwartz rappelle que l’application d’une règle déontologique sociologique ne peut suffire et que l’identité des personnes qui ont participé à l’action de recherche ne peut, à tout moment, être occultée : la possibilité de se reconnaître, d’être reconnue des personnes qui sont au centre de l’activité du chercheur doit se poser.

Par trois fois, le rapport du chercheur aux interlocuteurs est posé, par trois fois il tente d’apporter une réponse ou il y renonce car, s’il prend conscience de l’attente, il n’a point les qualités nécessaires pour y répondre. La question est de connaître les conséquences des choix du chercheur et le projet qui est visé quand ces pratiques se mettent en œuvre. La valeur de l’acte dépend de la relation du chercheur à l’autre ou aux autres, de sa relation aux interlocuteurs sans lesquels il ne peut construire son objet de recherche.

Dans le premier cas, il est question de donner priorité à l’autre et non à l’objet de la recherche. Si la priorité est donnée à l’autre, que la manifestation de son attente soit latente ou manifeste, cette posture oriente le travail du chercheur vers la construction d’un savoir dans une interrelation et non vers la production d’une connaissance. Elle oriente la production scientifique du chercheur vers un après que partagent ses interlocuteurs.

Le chercheur en sciences humaines et sociales partage la construction de la connaissance avec ses interlocuteurs. Chercheurs et interlocuteurs sont les deux faces d’une même activité qui permet la construction de la connaissance, après qu’ils aient vécu une situation d’échanges où chacun se forme. À cet égard, l’intérêt de la réflexion de Schwartz est de mettre en évidence que dans la recherche contemporaine est instituée une tendance qui veut garantir que l’énoncé du résultat ne présente aucune identité personnelle et présente un résultat anonyme. Cependant, il souligne la limite de cette position qui montre que la relation asymétrique chercheur/enquêté doit être revue. La part de chacun est reconstituée comme les identités personnelles dans la construction du résultat scientifique.

L’évaluation des différents types d’action met en évidence que le choix existe entre deux modèles dans le spectre des comportements du chercheur : le « bien » comme devoir et respect de la loi dépend du but visé auquel le chercheur va adhérer. L’un fait que la science est construite et portée par des individus qui ont à charge leur propre dynamique d’existence sociale et politique : l’objectif est de produire un résultat qui sera à la disposition des acteurs de la décision. L’autre choisit que la construction d’une connaissance est le résultat d’une interaction entre plusieurs individus, plusieurs groupes qui sont les acteurs impliqués dans l’ensemble de l’objet d’étude et qui se répartissent en diverses catégories : l’objectif est une co-formation en vue de la production d’un résultat scientifique que les différentes catégories concernées auront à charge de diffuser ou de promouvoir auprès d’acteurs de la décision.

Dans chacun des deux modèles, les notions du « bien » à atteindre sont distinctes : cette différence crée un débat et propose au chercheur un choix déontologique. Parmi l’ensemble des critères qui évaluent les conséquences de la recherche, ces deux modèles sont représentatifs des modes des fonctionnements sociaux et politique: dans le premier cas, des professionnels de la recherche, fonctionnaires ou institutionnels (Dubar et Tripier, 1998), sont seuls identifiés comme producteurs de connaissances ; les autres acteurs impliqués dans l’étude seront anonymes et représentés sous formes de catégories. La régulation sociale et politique se fait entre la catégorie « chercheurs » et les acteurs de la décision sociale et politique ; les « enquêtés » impliqués seront concernés par la décision induite par le résultat. La position de Derouet illustre ce mode de fonctionnement : « La philosophie d’une opération comme la rénovation des collèges, et d’une manière générale de toutes les transformations liées à la décentralisation, est que les individus doivent pouvoir localement, prendre en charge une part importante de l’administration de leur destin. Il faut avouer qu’ils sont singulièrement dépourvus d’outils : comment analyser le fonctionnement d’un établissement scolaire ? Comment développer dans un établissement où les relations sociales sont déstructurées ? Il y a incontestablement besoin d’augmenter les ressources des gens ordinaires sur la connaissance des processus sociaux et une recherche comme la nôtre peut modestement y contribuer » (Derouet, 1988).

Dans le second cas, l’ensemble qui produit la connaissance est statutairement et professionnellement hétérogène. Il est composé de chercheurs, de professionnels, de fonctionnaires, de bénévoles ou de volontaires enquêtés ? Le résultat de recherche est reconnu comme une action conjointe de formation et appartient à chacun des acteurs qui aura à charge de le diffuser et de le transformer en formation auprès de ses pairs : ils sont les porteurs de cette connaissance dans les différentes sphères sociales et politiques avec lesquelles ils ont des relations.

Il y a plusieurs années, nous mettions en perspective l’importance qu’il y avait pour l’analyse du fonctionnement des établissements scolaires la nécessité de partir des ressources locales que les agents de l’éducation mettent en œuvre. Nous montrions qu’ils possédaient des savoirs sur la vie de l’établissement en étant, de façon implicite, les acteurs de la décision attribuée au chef d’établissement (Jeannel, 1978).

En 1985, prenant en compte les effets de la décentralisation et analysant les effets des décisions du Ministère de l’Education nationale depuis la Quatrième République, nous mettions en perspective la tension qui existait entre un système tendant à l’homogénéité et un système tendant vers l’hétérogénéité à partir de trois indicateurs : l’idéologie, l’acte d’enseignement, le lieu d’enseignement et la personne. À l’hétérogénéité des comportements individuels et des acteurs impliqués avec les catégories qu’ils partagent, le système « homogénéité » répond par la création d’unités. Ce système crée l’homogénéité et fait disparaître tout caractère hétérogène en considérant que les personnes sont des agents et n’ont pas la connaissance des processus psychologiques, sociaux, politiques et économiques. La conséquence est qu’il faut les former à partir d’une décision exogène. Dans le système hétérogène, la reconnaissance de critères d’homogénéité qui différencient les personnes et les groupes permet de créer une synergie en instituant les points de vue particuliers pour la production d’un savoir endogène que chacun aura en charge de diffuser (Jeannel, 1985 ; 1999).

Il s’agit ici d’un choix entre deux types de propositions normatives qui ont pour conséquence de définir deux champs logiques de ce qu’il faut faire et qu’il serait possible de traiter dans la problématique de l’opposition entre aléthique et déontique :

L’une propose au chercheur de trouver les arguments à partir d’analyses, le plus souvent quantitatives, des situations et de faire preuve de pragmatisme pour augmenter « les ressources des gens ordinaires sur la connaissances des processus sociaux » dans le but de réaliser ce qui est obligatoire en fonction de décisions exogènes aux personnes concernées. Cela à partir d’une décision exogène, prise par une unité discrète de la société : dans l’exemple cité par Derouet (1989), il s’agit d’une décision de politique publique qui occulta le débat pour le collège unique entre modèle enseignement primaire supérieur dont une partie des agents de l’Education Nationale avait pris en charge localement une part importante de l’administration de leur destin » (Thillet Joubert du Cellier, 1996 ; Jeannel, 1985;1999 ; Sire, 1994 ;1995;2000) et modèle d’enseignement secondaire lié à la société des agrégés et au corps de l’Inspection Générale à laquelle appartenait une autre partie des agents.

L’autre propose au chercheur de participer à des groupes engagés dans des actions d’éducation, de formation et d’enseignement, de développer ensemble une recherche qui produit à partir des points de vue différents, une action qui répond aux attentes des différents acteurs impliqués et une formalisation de l’expérience conduite à des fins de diffusion. L’activité de recherche se décide au niveau du groupe de base formé des différents acteurs de la situation et en fonction d’une négociation entre les différents partenaires ; le premier objectif est une réponse aux difficultés rencontrées sur le terrain par une co-formation des partenaires, le second objectif est la co-production d’un protocole de recherche qui permette de mettre à l’épreuve les études produites sur le terrain dans d’autres situations en vue de la production d’une thèse sur le critère ou les critères pertinents que le résultat du premier objectif a explicité.

Les deux modèles présentent des choix différents tant au plan juridique qu’au plan pragmatique.

Dans un cas, l’obligation est dépendante d’un contrat extérieur à la situation qu’elle soit dépendante de la commande privée ou publique. La pratique correspond à l’activité des agents de la situation à étudier un groupe social donné, celui des chercheurs.

Dans l’autre cas, la finalité est décidée par les acteurs qui s’associent pour résoudre un problème localisé dans lequel ils sont impliqués à différents niveaux. Elle est de produire un protocole commun de recherche à partir de l’analyse de cette situation. Il permet la production d’un protocole de recherche à l’ensemble des partenaires dans une pratique de la co formation. Il est à la base d’une thèse à venir.

La fécondité de l’approche en termes de règles juridiques et pragmatiques est ainsi mise en évidence car elle montre que le traitement de la situation de l’enseignant-chercheur nécessite un choix entre une situation asymétrique entre le chercheur et le public avec lequel il travaille ou une situation symétrique entre le chercheur et les autres acteurs de la situation étudiée à la fois au niveau du contrat tacite ou explicite qui sous tend l’action et au niveau de l’argumentation développée entre les parties. Dans les deux cas, elle souligne la place que le pôle « formation » occupe dans le statut du chercheur, permet une analyse des formes de partenariats entre l’université et les administrations publiques et privées, les sites de production et les organisations politiques et enfin, clarifie l’utilisation du terme autonomie à propos des universités, dans le cadre des grandes orientations de la Communauté Européenne.

Cependant, une fois qu’il est reconnu chercheur, le statut de l’enseignant à l’université va varier suivant les états. Ainsi, au Canada le professeur est professeur de l’Université qui l’accueille alors qu’en France il est professeur des Universités.

« Il est clair que les universitaires français sont un cas extrême des processus de dissociation, des itinéraires de formation constitutifs de l’identité sociale à long terme. Une brève étude comparative montre qu’il n’y pas d’équivalent de cette diversité ailleurs, d’où beaucoup d’incompréhension dans les coopérations internationales françaises » (Charles, 1998, p.159). Ce constat sociologique et les différents statuts des enseignants universitaires dans les différents pays de la francophonie rendent difficile l’élaboration d’un code des devoirs qui régit le comportement professionnel et qui tend à créer un état d’esprit partagé par les membres de la profession.

L’article 3 du décret du 6 juin 1984, modifié par le décret de juillet 1987, dans le chapitre « Droits et Obligations » , énonce le statut de fonctionnaire qui concourt « à l’accomplissement des missions du service public de l’enseignement supérieur, définies par la loi du 26 janvier 1984 ».

Ainsi, pour l’étude de l’ensemble des règles et des devoirs qui régissent l’ensemble enseignant-chercheur dans les espaces francophones, il n’apparaît pas possible de prendre comme base l’organisation statutaire de la profession à cause de la diversité des statuts et au fait que « le modèle français des corps d’Etat ne relève pas spécialement d’une sociologie des professions au sens « restreint» d’activités organisées de travail reposant sur des savoirs formalisés … le « modèle à la française » apparaît comme un modèle totalisant qui met en jeu tout l’édifice des croyances politiques, culturelles, sociales et religieuses… » (Dubar et Tripier, 1998, p.169).

Poser la question de la déontologie, c’est s’attacher à déterminer des solutions pratiques à des problèmes concrets pour l’activité de l’enseignant chercheur, professeur de l’université ou des universités. La voie statutaire n’apparaissant pas pertinente, les actions concrètes mises en œuvre par les choix opérés pour la recherche et l’enseignement et par les relations opérationnelles entre ces deux activités peuvent proposer des orientations inspirant une réflexion sur la déontologie de la communauté des chercheurs enseignants.

De la recherche à l’enseignement : des choix préalables à la question sur la déontologie.

Nous avons vu précédemment deux modes de fonctionnement. Premièrement, la recherche est dépendante d’une commandite extérieure à un groupe social élu : les chercheurs qui assurent seuls la production de la connaissance en investissant leur propre savoir. Deuxièmement, la recherche est partagée avec l’ensemble des catégories impliquées dans l’action qui se déroule sur le terrain. Les chercheurs n’assurent pas seuls la production de la connaissance qui est l’expression des différents savoirs qui en ont permis la construction. Dans ces deux cas, quelles activités d’enseignement apparaissent les plus pertinentes ?

Le groupe social qui tire son existence de la recherche et qui est désigné comme le plus à apte à transmettre son résultat doit clarifier la position qu’il choisit : soit une position où la pertinence de ses résultats est évaluée en fonction de l’influence qu’il exerce sur la prise de décisions des décideurs qui sont ses commanditaires, soit une position selon laquelle l’organisation des enseignements se fait alors à partir des résultats obtenus et permet la formation de futurs agents qui ont acquis les connaissances ainsi institutionnalisées. L’organisation des enseignements se décline du niveau terminal qui est la réponse à l’attente des décideurs, vers le niveau d’entrée à l’université qui doit se préparer à répondre à l’attente de la décision exogène aux groupes sociaux concernés par l’enseignement.

Dans ce dernier cas, l’existence d’une analogie entre l’objectif du commanditaire et le résultat du chercheur entraîne une succession d’activités d’enseignement asymétriques. La première consiste en la transmission de la connaissance au commanditaire pour qu’il se l’approprie. La seconde consiste en l’utilisation que le commanditaire fait de cette connaissance : un contenu d’enseignement pour finaliser sa politique, c’est-à-dire comment il l’utilise pour obtenir les ressources dont il a besoin. La troisième est la construction didactique qu’élabore l’enseignant-chercheur quand il devient enseignant.

Cette troisième activité propre à l’enseignant-chercheur pose la question de l’analogie entre la finalité de la didactique et la finalité des transcriptions qui en sont faites dans les programmes d’enseignement par les décideurs destinataires du résultat de la recherche. Si la finalité des enseignants est la production d’un enseignement qui correspond à la transmission de la connaissance comme une réalité, il sera en adéquation avec les décideurs ; il enseigne une « science faite » qui institutionnalise scientifiquement le résultat (Boutin et Julien, 2000). La base de l’enseignement universitaire est la rhétorique dans une situation asymétrique. Si la finalité des enseignants est la production d’un enseignement qui correspond à la genèse de la construction d’une connaissance, il présente la reconstruction d’un parcours daté et situé dans l’espace géographique, social et politique en tentant d’en montrer tous les aléas et en mettant en évidence les limites du champ et du domaine (Jeannel, 1998;1999). La tendance à introduire une logique d’enseignement en écart avec la logique des acteurs de la recherche pose la question de la règle qui lie l’enseignant-chercheur à ses pairs dans la communauté qu’ils forment avec eux. L’écart entre la logique des étudiants et la logique de l’enseignant ne modifie pas le rapport asymétrique entre les deux groupes :

La base de l’enseignement universitaire est la formation à une réflexion sur la construction des connaissances dans une situation asymétrique.

Il peut choisir une position où la pertinence de ses résultats est évaluée en fonction du partage qui a existé avec les différents partenaires de la situation étudiée dans une situation symétrique. Dans ce cas, l’organisation de l’enseignement est faite pour mettre en évidence ce partage. L’enseignement du résultat de la recherche est fait conjointement par les différents partenaires de la production scientifique. Un tel choix nécessite que l’enseignement universitaire soit partagé entre la communauté des enseignants-chercheurs et les différents acteurs de terrain qui ont participé à l’élaboration du résultat, qu’il fasse partie des enquêtés ou soit qu’il fasse partie des décideurs qui ont donné accès à la situation.

Une telle position ouvre une voie moderne à l’enseignement universitaire pour répondre à l’attente exprimée dans « Croissance, compétitivité, emploi. Les défis et les pistes pour entrer dans le XXIe siècle » (CECA-CE-CEEA, 1994) : « La coopération entre les universités et le monde économique représente, en outre, une voie fondamentale de la transmission des compétences, un vecteur d’innovation et un facteur d’ accroissement de la productivité dans les secteurs en développement, potentiellement créateurs d’emplois ».

Cette voie ne doit être confondue ni avec celle qui consiste à faire que l’enseignement de la recherche et de son résultat n’appartienne qu’à la communauté des enseignants chercheurs, voie décrite dans le premier choix, ni avec celle qui consiste à faire rentrer dans l’université des praticiens qui sont là comme témoins des institutions qu’ils représentent (cas des professeurs associés) et non comme acteurs de l’action de la recherche enseignée. Elle permet de présenter aux étudiants la « Science en action » (Latour, 1989), de faire comprendre les rôles des partenaires publics et privés aux étudiants, qu’ils soient en formation initiale ou en formation universitaire continue, de transmettre aux étudiants les apports de chacun des partenaires dans la construction de la connaissance et des « savoirs » (Hatchuell et Weill, 1992) que chacun a engagé pour mener la recherche à son terme.

Le choix de cette dernière voie est une des réponses possibles à l’interrogation posée au cours des Etats généraux de l’université en 1996 : « Les partenaires extérieurs que sont les entreprises, les collectivités territoriales et la communauté européenne génèrent une part significative des activités de recherche et de leur financement. Comment en assurer la cohérence avec les politiques de recherche et d’innovation ? ». Elle est une réponse à l’élaboration technocratique de formations professionnalisées puisqu’elle met en évidence que les secteurs professionnels sont des acteurs de la recherche en Sciences de l’Homme et qu’ils sont, au même titre que les chercheurs, des enseignants qui ont un point de vue sur les connaissances qui sont transmises aux étudiants.

Un écueil peut apparaître. Il tient au fait que les connaissances à transmettre soit produites dans des époques antérieures et dans des espaces qui ne font pas partie de l’environnement de l’Université. Dans ce cas, n’est-ce pas la fonction de l’universitaire de proposer l’interprétation actuelle de la proposition théorique élaborée en un autre lieu et dans un autre temps ? N’est-ce pas la mission de l’universitaire de faire la quête de ceux qui, dans leurs pratiques professionnelles sont proches de ce modèle ? N’est-ce pas le travail de l’enseignant-chercheur de provoquer le travail de recherche qui permet de prendre connaissance de la métamorphose des données de la connaissance à transmettre ? N’est-ce pas le travail de l’enseignant-chercheur de provoquer la recherche sur archives en provoquant la participation des acteurs compétents ? Il faut avouer qu’une telle attitude demande un retour permanent sur son propre travail de recherche, sur son propre engagement et sur les paroles qui sont convoquées.

Où provoquer cette réflexion ? N’est-ce pas au sein des entreprises, des institutions qu’il s’agit de saisir les métamorphoses des connaissances à transmettre avec les parties concernées ?

Cette attitude de partage ne consiste pas à donner aux acteurs, qu’ils soient chercheurs ou enquêtés, une parole naïve sur leurs actes comme « Les paradoxes de la Recherche – Action
(n.d.l., type Institut National de la Recherche Pédagogique) » le soulignent :
« Ainsi la problématique de la Recherche – Action (n.d.l. type INRP) se pose à deux niveaux : sur le plan épistémologique, elle touche la nature des rapports entre implication et explicitation. Sur le plan institutionnel, elle permet de se demander si la culpabilité et la dénégation n’ont pas présidé à la rencontre des chercheurs et des praticiens : le chercheur coupable de ne pas être impliqué dans une véritable pratique (l’action, objet de la recherche) ; le praticien coupable d’être impliqué dans une pratique normative et irrationnelle » (Jouy, 1983, p. 156 - 157).

Une telle attitude a pour finalité que chaque acteur engagé ait sa parole sur le parcours qu’il a effectué pour qu’un résultat scientifique soit proposé.

Ce n’est pas la communauté des chercheurs qui consacre la valeur du produit, c’est l’ensemble des groupes concernés par l’activité que la recherche a nécessité : l’enseignement consiste à transmettre cet ensemble et donc à donner la parole aux représentants des catégories engagées dans la recherche. Ceci entraîne une modification du recrutement des enseignants-chercheurs à l’université, une modification de la légitimation du résultat scientifique, une réorganisation des relations entre l’université et les acteurs de terrain.

Les relations entre les universités, les secteurs économiques et sociaux et les personnes sont à construire quand il faut constater par exemple que les rapports entre les chefs d’entreprise et la formation professionnelle universitaire ne créent une synergie que dans certains secteurs d’activité (Casella, Tanguy et Tripier,1991 ; Jeannel, 1999), que l’enjeu de la formation médicale continue met en concurrence les pratiques de la médecine en cabinet et de la médecine à l’hôpital (De Ducla, 1992 ; Choy, 1999), que l’ignorance de l’expérience personnelle est au centre de la formation des enseignants (Errant,1999).

Cette modification nécessite la définition de la fonction d’enseignement et de formation que l’enseignant-chercheur peut occuper dans l’entreprise et celle que le professionnel du secteur concerné peut occuper dans l’université comme chercheur et enseignant à part entière.

Dans ce cas, la finalité de l’enseignement universitaire consiste à faire comprendre les processus de la production scientifique. Elle se différencie de la première position qui enseigne les doctrines et de la seconde qui enseigne la science en action en l’absence des partenaires de cette action.

La finalité a pour visée la transmission des différentes démarches des groupes concernés par l’action de recherche. Elle accepte les logiques propres aux catégories concernées dans la construction de la connaissance et les diverses logiques formelles qu’elles produisent sur la pratique étudiée. Elle reconnaît que la construction d’une connaissance se situe dans des contextes dialogiques et prend en compte le processus récursif qui concerne les relations d’auto-construction et d’auto-formation entre les différents partenaires qui sont engagés dans l’action de recherche en vue de la construction d’une connaissance dont la base est le rapport entre les savoirs des catégories concernées. Enfin cette finalité expose la complexité de la construction de la connaissance, objet de l’enseignement (Morin, 1990).

Dans cette pratique de la construction scientifique et du partage de l’enseignement, l’enseignant-chercheur acquiert une culture basée sur des situations symétriques de partage de la production scientifique et de sa transmission : culture qui, à court ou moyen terme, vient compléter la culture d’une relation symétrique entre les étudiants qui sont des adultes (Bédouret, 2002) et les enseignants-chercheurs tels que Rogers, Devereux, Barthes, Ardoino, Berger, Wittwer, etc. l’ont développée.

Deux grandes tendances apparaissent :
- L’une est centrée sur l’influence du professeur de l’Université, représentant la communauté des universitaires, déclarés dignes du titre de Docteur d’État ou Habilités à diriger des Recherches et élus par leurs pairs. Avec sensibilité, Snyders (1993) présente cette influence en ces termes: « Il faut prendre conscience que tous les professeurs d’université importants ont été passionnés, partiaux et ont puissamment pesé sur la formation de leur disciple - même si par la suite, beaucoup ont choisi une voie différente, voire opposée, mais qui n’est jamais dénuée de rapport avec les premiers moments vécus à l’Université ». En 1976, Mohamed Cherkaoui montre comment cette influence a pu occulter toute une partie de l’œuvre « L’évolution pédagogique en France » (Durkheim, 1938) : «Seul a été compris l’aspect fonctionnaliste d’une de ses caractéristiques, à savoir la socialisation. La tradition sociologique responsable de cette réduction abusive a mutilé une pensée dont la richesse, l’originalité, la constante actualité auraient mérité de souligné » (Cherkaoui, 1976, p. 197-212). A propos de cette même œuvre, Besnard (1992) montre comment la transcription par les disciples d’Émile Durkheim, pour conserver l’influence que le maître a exercé sur eux, introduit des erreurs dans la datation de ses cours pédagogiques présents dans « L’évolution pédagogique en France ».

Dans cette relation asymétrique vis-à-vis de l’étudiant, pondérée par l’objectif de l’enseignant qui « est de l’aider à prendre une conscience plus lucide de ce qu’il est…pénétrant les exigences de ce qu’il veut être, que ce soit de progresser dans la foi ou l’athéisme » (Snyders, 1993, p. 135), le fondement de l’enseignement est la rhétorique quand l’enseignement porte sur la science faite, elle est l’attitude réflexive quand l’enseignement porte sur les processus de la science en train de se faire.

- L’autre tendance est centrée sur la présentation des différentes positions des catégories qui sont concernées par la production de la connaissance à enseigner soit comme partenaires, soit comme utilisateurs. Bien entendu, l’écoute de l’étudiant par l’enseignant-chercheur à laquelle Snyders attache une grande importance est indispensable mais l’influence qui peut en résulter n’est plus univoque puisque le point de vue sur la connaissance n’émane pas d’une même personne qui y engage son savoir, mais des différentes catégories qui sont engagées sur le terrain où la connaissance a été construite.

L’hétérogénéité des points de vue nécessite que l’étudiant construise les débats explicites et implicites que suscitent ces différents points de vue, considère les enjeux de chaque partenaire à travers l’action de recherche conduite, accepte cette multiplicité des points de vue auxquels il est libre d’attribuer des valeurs différentes une fois qu’ils sont mis en perspective au regard de l’état de la question, de la compréhension du système politique dans lequel ils existent, de la conception de la société qu’ils présentent.

L’étudiant est dans une relation symétrique dans le sens où les interventions différenciées des enseignants suivant leur catégorie lui permet de trouver des liens avec ses origines sociales et culturelles, dans le cadre d’une confrontation entre les points de vue représentés.

La diversité des points de vue des enseignants, qui ont participé à des niveaux différents à la recherche, ne permet pas qu’il y ait une influence dominante si les statuts, gages de la reconnaissance publique et privée, sont équivalents.

Le fondement du contenu de l’enseignement universitaire est, dans ce cas, la complexité qui préside à la construction de la connaissance à partir de savoirs différents comme le montrent les différentes théories élaborées au cours du 19e et du 20e siècle sur les rapports entre la science et la technologie (Layton, 1971;1983).

La déontologie chez les enseignants-chercheurs : un enjeu pour le troisième millénaire

Le croisement des deux modèles de recherche et des deux modèles d’enseignement donne-t-il plusieurs choix représentant les différentes combinaisons possibles à l’enseignant-chercheur ?

Le choix d’un contrat extérieur aux catégories concernées et impliquées sur le terrain et d’un groupe aux critères spécifiques et élus, extérieur aux catégories qui composent le terrain d’étude est cohérent avec la relation asymétrique de l’enseignement puisque telles sont les relations pendant l’activité de recherche avec un enseignement de type rhétorique qui est implicite dans le contrat. Dans le cas où l’enseignement est de type réflexif, les conflits qui peuvent naître entre le commanditaire et le chercheur devenu enseignant incitent à définir le lieu où le dissensus ou la négatricité sont exprimés (Ardoino, 1994). La place de cet acte critique dans l’enseignement nécessite une définition des actes moralement prohibés ou obligatoires et leurs conséquences sur la formation et l’enseignement comme constituant d’une société.

Les critères de ce choix ne permettent pas la mise en oeuvre du second modèle d’enseignement puisque un seul groupe est élu comme producteur de la connaissance, que le contrat est extérieur aux catégories qui constituent le terrain, que l’objet de la recherche et la didactique est une didactique de la multidimentionnalité d’un point de vue (Ardoino et Berger, 1989) et non la multiréférentialité des points de vue (Berger et Ardoino, 1989).

Le choix d’un partage du résultat scientifique entre les différentes catégories impliquées montre les diversités des points de vue et les approches plurielles (Ardoino, 1994). Elle reconnaît la multidimentionnalité et la multiréférentialité. Elle correspond au modèle qui conforte une relation symétrique d ‘enseignement entre adultes que l’on soit enquêtés, décideurs, étudiants ou professeurs. Elle développe la pensée complexe.

Deux modèles sont proposés : ne pas en débattre, ne pas indiquer les choix, ne pas conformer les actes au choix a pour effet de rendre impossible la construction d’une logique déontique, la constitution d’une déontologie professionnelle qui puisse permettre à une profession de prendre place dans l’organisation sociale. La définition d’une éthique déontologique rend possible le débat entre le « conséquentialisme » et l’utilitarisme.

Au cours du troisième millénaire, si ces débats n’ont pas lieu, si les choix présidant à l’énonce de positions traitant de la déontique et de la déontologie ne sont pas partagés, les enseignants-chercheurs n’auront pas l’opportunité de participer, en tant que groupe ou communauté, à l’organisation politique de la société.

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