16 septembre 2011

former aux processus d'incertitude:quelles implications?

« Former aux processus d’incertitude : Quelles implications ? »
Professeur Alain Jeannel
Université de Bordeaux France


Les décideurs utilisent le carré sémiotique pour défendre le système d’enseignement dont ils ont la charge ; ils confortent paradoxalement une situation d’incertitude par une certitude, en rationnalisant leur discours avec une référence à la science: ainsi, l’étude quantitative démographique gère la qualité d’un enseignement dont les résultats sont jugés négatifs.
Le monde scientifique conteste cette utilisation réductrice dans trois domaines : l’éthique (espace-ethique.org/fr/bioethique.php), la déontologie (alain-jeannel.blogspot.com) et la formation des générations montantes.
A propos de la formation des générations montantes, la question récurrente est celle des liens entre une formation universitaire et une adaptation à une vie sociétale dont les références sont fluctuantes, interdépendantes des connaissances instituées, des événements géophysiques et géopolitiques.
Une réponse est la promotion d’un enseignement « professionnalisant», objectif qui associent des politiques publiques et privées : la licence professionnelle a un objectif d’insertion professionnelle, conduit à l’obtention de connaissances et de compétences nouvelles dans les secteurs concernés et ouvre à des disciplines complémentaires ou transversales (arrêté de 1999).
Introduisant des points de vue hétérogènes, elle oriente l’enseignement vers la reconnaissance d’ « objets complexes » pour lesquels la recherche scientifique met en synergie l’approche multi dimensionnelle et l’approche multi référentielle (jardoino.club.fr).
La première permet de déplier l’objet étudié en fonction du traitement des informations disponibles. L’utilisation qui en faite par les décideurs clôt la discussion par la formalisation d’un dogme et par des résultats quantifiés exogènes ; dans d’autres utilisations, elle montre sa fécondité, ouvrant vers d’autres disciplines.
La seconde reconnait l’existence de multiples points de vue, impliquant des références hétérogènes ; construite en référence à « la pensée Complexe », elle répond à l’intuition du praticien qui, confrontant ses actions à des informations théoriques, trouve des réponses incertaines et surmonte les difficultés en « bricolant ».
Dans leur épistémologie, ces méthodes ne portent pas en germe les utilisations réductrices qui en sont faites, et les discours scientifiques soulignent l’importance de reconnaître « la complexité » des objets d’étude comme porteuse des principes du dialogique, de la récursion organisationnelle et de l’hologrammatique (college-heraclite.ifrance.com/edgarmorin/fr).
Un enseignement « professionnalisant » prend en compte ces principes en inscrivant dans le curriculum, un cursus mono disciplinaire formant à la multi dimensionnalité, une analyse de la construction de la connaissance qui introduit l’approche multi référentielle et une visée professionnelle représentative de l’aspect hologrammatique de la vie professionnelle. Leur conjugaison donne à la formation un caractère de quête ouverte propre la pensée complexe.
Le système d’enseignement institutionnel est-il remis en cause par cette finalité qui reconnait le caractère complexe de la formation? Existe-t-il une modélisation anticipatrice qui prend en compte les incertitudes de la science et des professions ?

Un modèle prospectif ?
Les décideurs basent leur certitude sur trois postulats :
Le modèle mathématique de l’information, code unique et information séquentielle, est adapté à la transmission des connaissances ; le modèle du consensus oligarchique répond à la massification de l’enseignement en instituant un seul découpage des manifestations cognitives, un sens unique de type numérique; les systèmes experts (A.Hatchuell, www.cgs.ensmp.fr/perso/persoah) rationnalisent la démocratisation de l’enseignement en contrôlant les flux.
Ces certitudes déterministes permettent à ce système de perdurer bien que son échec provoque des crises individuelles et collectives.
Pour s’opposer à ce modèle dominant qui phagocyte tout modèle prospectif scientifiquement structuré, il faut introduire une prévision aléatoire et stochastique qui modifie la pratique de l’enseignement représentée par ses deux fondamentaux, la pédagogie et la didactique.
La résolution du problème développe les points suivant :
- donner un statut à la communication expression, sans confusion avec la communication institutionnelle, univoque et séquentielle (www.123travail.com/48-catho-sfez),
- reconnaître le processus dynamique du dissensus qui donne sens aux multiples découpages des manifestations humaines, en l’opposant au modèle explicatif institué par le consensus,
- transmettre les théories en évitant les dilutions théoriques que couvrent certains usages de l’interdisciplinarité et de la transdisciplinarité au détriment de la pensée complexe, pour donner le libre choix à l’homme par la controverse.
La problématique de la coexistence du modèle dominant et de ce modèle prospectif pose une série de questions :
Pour quelles raisons le modèle pour lequel il y a des certitudes quantitatives exogènes à la didactique et à la pédagogie est-il maintenu bien que son application soit reconnue insatisfaisante ?
En quoi ce modèle prospectif est-il une alternative avec des probabilités de réussite au modèle dominant basé sur des certitudes?
Quels éléments avons-nous comme certitude quantitative et certitude qualitative entre la modélisation du système présent et la modélisation de l’anticipation ?
Le repérage d’items indiquant leurs oppositions visualise leurs positions respectives :
information séquentielle/communication expression ; relation asymétrique/relation symétrique ; sens imposé/création du sens ; hétéronomie /autonomie ; connaissance institutionnalisée/connaissance co-construite ; réussite cognitive par critères d’homogénéité /dynamique cognitive de l’hétérogénéité ; individu somme de caractéristiques/personnalité globale ; certitude univoque/ pensée complexe.
Parmi les indicateurs, certains retiennent particulièrement l’attention.
Dans le modèle institutionnel, les relations entre l’enseignement et son environnement sont régies par une loi exogène au groupe formé par l’enseignant et les enseignés; dans le modèle prospectif, les échanges et les relations sont l’expression du groupe : la loi exogène demeurant un élément parmi d’autres.
Dans l’un, les relations des enseignants et des enseignés sont un échange séquentiel d’informations ; dans l’autre, elles sont une relation compréhensive.
D’un côté, l’enseignant a un seul rapport à la théorie qui est sa relation au savoir ; de l’autre, il accepte qu’il y ait d’autres conceptions intellectuelles et mentales que les siennes, dans cet environnement cognitif, l’enseigné reconnaît les interprétations du monde de chacun, s’habitue à l’aléatoire des propositions inattendues et à les ordonner : le sens univoque institué est remplacé par la construction d’un sens au regard des autres sens.
L’évaluation des deux modélisations détermine les catégories de l’incertitude et ses composantes conceptuelles. Dans la modélisation anticipatrice, la définition de la pédagogie de la didactique précède l’organisation administrative, elle est un processus autonome tributaire d’une situation en permanente évolution, Dans le modèle institutionnel, le système administratif définit les procédures didactiques et pédagogiques en mettant en œuvre des procédures hétéronomes.
Dans le modèle institutionnel, la décision dépend de critères univoques quantitatifs extérieurs à la construction de la connaissance. La modélisation anticipatrice convoque les analyses scientifiques en fonction des ajustements que les générations montantes provoquent : ces analyses sont multiréférentielles et échappent à une décision préalable. La modélisation anticipatrice reconnaît l’incertitude, l’autre s’appuie sur des certitudes issues de systèmes experts.
Les deux modélisations n’ont pas les mêmes outils conceptuels, les mêmes références académiques.
En caricaturant, il est possible de dire que la modélisation dominante à pour objectif d’instruire à une connaissance établie et que l’autre a pour finalité une formation critique à la construction de la connaissance ; l’un se réfère à une situation connue, envisagée comme stable, nécessaire à l’organisation politique et administrative, l’autre envisage que la situation contient de nombreux paramètres d’incertitude qu’il s’agit de les rendre profitables à l’enseignement. L’action des enseignants et des enseignés oblitèrent l’injonction imposant le modèle institutionnel et conforte la nécessité de répondre aux échecs du modèle dominant par une pratique prospective. Deux exemples mettent en évidence le paradoxe qui existerait à poursuivre le modèle dominant dans le cadre d’un enseignement « professionnalisant ».

De quoi s’agit-il dans cette controverse?
« Professionnalisation de l’enseignement supérieur et territoire »(spirit.sciencespobordeaux.fr/Gayraud) présente une typologie des licences professionnelles à la suite d’arrangements entre service public et privé, entre acteurs éducatifs et acteurs économiques : accès à l’exercice de métiers identifiés, diplômes à forte lisibilité sur le territoire national, obtention de titre dans un domaine, préparation à un concours d’entrée à une formation sélective.
Ces configurations montrent un ajustement de la pédagogie et de la didactique à l’acquisition d’une connaissance et d’une pratique décidée hors du contexte de la situation formative.
On aurait pu penser que les formations proposées utilisent les situations diversifiées pour les mettre en débat, l’étudiant et le groupe construisant le sens de l’activité à laquelle ils se préparent , en fait l’analyse des typologies montre que le sens est celui choisi par le gestionnaire.
On aurait pu penser que les acteurs de la formation étant de cultures et de professions différentes, la multiplicité des points de vue créent une synergie ; en fait, il s’agit d’instruire à un exercice professionnel défini au préalable.
On aurait pu penser que l’intangibilité des situations à vivre invite les responsables à envisager que la formation ne peut pas être sommative, en fait elle le demeure.
Quand la dominante de la licence professionnelle est économique, l’objectif est l’adaptation à un poste de travail qui peut demain ne plus exister ; quand la dominante est académique, la finalité est d’être un spécialiste de la discipline académique.
Faite de certitudes, la formation « dite professionnalisant » qui devait rénover le système d’enseignement est récurrente, elle renonce à la composante « en train de se faire » contenu dans le participe présent, elle est sommative, basée sur un consensus. Elle réduit la formation à la transmission d’un seul point de vue, de ce fait elle détruit l’expérience professionnelle elle-même et la compréhension scientifique. Les référentiels décrivent le passé comme normes, les disciplines détachées de leur genèse ne sont pas mises à l’épreuve du présent.
Le système élimine tout aléatoire, créatif de domaines propres à la formation; de ce fait, il rate la finalité de son projet en ne préparant point l’étudiant à problématiser une situation qui ne fait pas partie des certitudes acquises : la formation à l’incertitude de la situation de travail est inexistante, la formation à une méthode scientifique dont le problème est toujours à reconstruire en fonction des paramètres inattendus n’est pas abordée.
L’autre exemple est la constitution d’un réseau de chercheurs dans le domaine du design francophone (www.4design-france.com). Il rassemble une communauté de chercheurs des sciences de l’ingénieur, des sciences humaines et sociales, des sciences de l’art, des sciences de la gestion, des sciences cognitives et de l’architecture, de professionnels venus de différents milieux économiques et sociaux et de décideurs publics. La confrontation de points de vue met en évidence l’hypothèse de la complexité de la réalité en insistant sur l’hétérogénéité des informations. Travaillant au niveau de la production et de sa commercialisation, le savoir des designers résulte de l’articulation de connaissances venues de domaines hétérogènes, il transmet une réflexion sur l’organisation d’un système de production qui fait du produit industriel un objet, partie intégrante des environnements anthropologiques, sociaux et politiques ; il forme à une articulation entre la fluidité d’un processus économique et la pensée complexe . La formation est pragmatiques et scientifique : pragmatique, en distinguant la compréhension de l’utilisateur et celle de la situation d’usage, en associant deux éléments la matière et l’humain, en envisageant que l’un ne supprime pas l’autre. Prenant en compte les antagonistes et les analogies de ces éléments, elle multiplie les points de vue : le produit est créateur d’usages mais aussi l’usage participe à la production. Elle met en évidence que chaque composante du produit est partie prenante de l’ensemble de l’objet.
Elle est scientifique : respectant chaque approche scientifique sans épuiser les possibles, la formation sur et par le design est un exemple de l’unité de la science, elle est ouverte et non sommative. Les problématiques sont construites soit à partir d’un corps théorique académique dont la fonction est définie parmi les autres et porteuse des autres dans le projet de production, soit à partir d’une situation qui nécessite la prise en compte de corps théoriques distincts dont il faut résoudre leur convergence : des deux termes, la matière et l’humain, la formation en fait des termes interdépendants, il ne s’agit plus d’adapter l’étudiant à la production d’objet, il s’agit d’inventer des usages : Impliquant autant de références spécifiques et de langages propres à chaque discipline convoquée, la formation au design reconnaît explicitement des références distinctes non réductibles dont le designer trouve les inter dépendances.
Dans ce processus de formation, le groupe crée une activité pragmatique et scientifique dont il définit les normes.

Une définition de la formation à l’incertitude : la modélisation anticipatrice.
Cette action militante de professionnalisation de la formation reprend les axes de la modélisation anticipatrice. Dans cette pratique, le groupe en formation institue sa didactique et sa pédagogie dont la loi est un élément parmi d’autres.
Le critère « anticipatrice » ne donne pas à la modélisation le sens d’un futur utopique, il a pour fondamentaux une pédagogie et une didactique dont les constructions problématiques existent du fait qu’il y a incertitude : La problématique dans le modèle institutionnel est imitation de modèles déterminés ce qui est contradictoire avec une formation à la construction d’une problématique, intégrant la notion d’incertitude dans la pédagogie et la didactique, définie par l’expression « résoudre le problème ».
Ce critère renvoie à la compétence de l’anticipation ; elle existe lorsque les acteurs de l’action confrontée in situ à celle-ci ont les connaissances nécessaires pour évaluer le contenu du problème: Cette compétence ne se limite pas à puiser des connaissances acquises dans une grammaire de l’action (Pierre Tripier’s weblog) qui répertorie les approches multidimensionnelles des données du problème, elle est opérationnelle quand elle confronte ces différentes approches multidimensionnelles.
Ainsi définie, la problématique permet de choisir une solution au problème posé, et d’engager une action, choix parmi l’ensemble des solutions possibles. En n’en traitant qu’une, l’action porte en elle-même la totalité des incertitudes, sécrète de nouveaux problèmes donc de nouvelles incertitudes, qui rétroagissent sur la construction de nouveaux problèmes, prêtant à critique la solution précédente.
Dans la modélisation anticipatrice, la formation « professionnalisant » est produite par les interactions entre les différentes communautés, y compris la communauté étudiante, qui la composent, elle rétroagit en ouvrant vers de nouvelles formations et produit les individus qui la produisent.
Le choix entre les deux modèles demande un exercice mental qui est révélateur des conceptions politiques de l’enseignement qui ont traversé l’histoire:
D’un côté, l’universel est pensé comme une règle générale dont la théorisation est la finalité : l’instruction a en charge sa transmission. D’un autre côté, l’universel est un processus dont la construction de la société est la finalité : l’enseignement est une formation de la personne à ce processus.
D’un côté, les fondamentaux didactiques et pédagogiques sont des certitudes déterminées soit par une coutume soit par une quantification extérieure aux acteurs in situ ; d’un autre, ils sont des réponses aux incertitudes des savoirs et de la vie sociétale. L’un est statique, l’autre est dynamique.
D’un côté, les fondamentaux pédagogiques et didactiques sont des lois institutionnelles dans un cadre d’enseignement académique ; de l’autre, ils servent à construire un problème en confrontant les connaissances académiques disponibles et en élaborant de nouvelles connaissances : l’un est imitatif, l’autre est créatif. D’un côté, le consensus crée l’hétéronomie, de l’autre le dissensus l’autonomie. Intégrer l’incertitude dans la formation, c’est faire des choix : un choix philosophique entre la pensée séquentielle et la pensée complexe, un choix anthropologique entre un régime du sens monosémique et un régime du sens polysémique, un choix politique entre un régime institutionnel oligarchique et un régime instituant démocratique.

(espace-ethique.org/fr/bioethique.php), la déontologie (alain-jeannel.blogspot.com) spirit.sciencespobordeaux.fr/Gayraud) www.123travail.com/48-catho-sfez (A.Hatchuell, www.cgs.ensmp.fr/perso/persoah
college-heraclite.ifrance.com/edgarmorin/fr (www.4design-france.com Pierre Tripier’s weblog) jardoino.club.fr).