29 juillet 2008


La recherche en Sciences de l’éducation et la mondialisation :
Entre Epistémologie et Futurologie ?

Mondialisation et éducation vers une société de la connaissance
Bibliothèque National du Royaume du Maroc
ISBN 9981 916 25 0 copyright AMSE
Professeur Alain Jeannel - mai 2008

Introduction

La recherche en éducation et la mondialisation, thème récurrent d’un questionnement politique sur l’enseignement, présente une succession de déclinaisons qui se répondent les unes aux autres : la mondialisation et les dimensions sociales, la mondialisation et la question des savoirs et du savoir, la mondialisation et les systèmes d’enseignement, la mondialisation et la formation des êtres humains, la mondialisation et les enjeux socio-économiques. Les discours sur la mondialisation mettent en évidence ces liens forts qui ont commencé à se tisser depuis que s’est développée la production en série d’outils pour éduquer le plus grand nombre. Les politiques d’influence, qui dominent actuellement la pensée sur l’enseignement et par conséquence l’éducation, promeuvent, entre autres produits industriels, la possession de l’ordinateur et l’utilisation des réseaux techniques d’information, par le plus grand nombre dans un double objectif : transférer des connaissances et créer une société cognitive (Commission Européenne, Livre blanc, 1994 et 1995) ; donner de nouveaux domaines à une économie basée sur les notions de marché et de concurrence dont deux des effets sont premièrement les dépôts de brevets des contenus et des utilisations de ces produits en vue d’une rentabilité financière et d’appel d’offres, ce qui n’est pas sans le danger de mettre à la disposition des concurrents ces connaissances(F. Pisani et D.Piotet, 2008) et deuxièmement la mise sur le marché des machines qui rendent possible l’utilisation de ces produits (A.Jeannel, 2001).
De quoi s’agit-il de l’avis même des promoteurs de cette industrialisation de la formation ?
Ils annoncent le souci de répondre à une demande sociale dans le but d’une démocratisation de l’enseignement , dimension sociale de la réponse à la question posée ; ils présentent cet objectif avec comme finalité la transmission des savoirs mais aussi leur production ; ils ont une vue stratégique qui lie cette perspective de l’industrialisation de la formation à une réponse à des enjeux économiques ; ils appliquent une tactique qui passe par une réforme soit récurrente soit innovante des systèmes de l’enseignement et de son évaluation ; ils annoncent une finalité ontologique, la formation des êtres humains. Ces objectifs montrent les liens qui s’établissent entre les cinq éléments d’une pensée programmatique et pragmatique que des discours politiques tentent de présenter comme une réponse au concept de mondialisation. Le concept de mondialisation doit-il être pris dans le sens traditionnel, l’élaboration d’une pensée philosophique dont il serait un élément, ou dans le sens du capitalisme, comme « fluidité des marchandises, fluidité des services, fluidité des capitaux et fluidité des hommes et maintenant fluidité du savoir » (J-M. Saussois, 2005).
Cette orientation politique vise à organiser l’industrialisation de la formation par la mise sur le marché comme ressource principale de la société cognitive les machines à enseigner, associant machine à calculer et machine à communiquer. Pour en saisir les finalités, il faut étudier la genèse et les paradoxes qu’elle porte en son sein.
Quel sens donné au mot « mondialisation »?


1 S’INTERROGER SUR LE SENS DE MONDIALISATION :
ANALYSER UNE CONCEPTION DE L’EDUCATION.

Quelle conception cosmologique ? Ontologique ? Anthropologique ?
Dans la linéarité qui présente une succession de références uniques, les réponses à cette posture philosophique européenne développent deux champs d’analyse :
L’étude de la place de l’évolution, de la croissance et du paradoxe du dévoilement/voilement du monde dans les programmes pédagogiques et didactiques permet de construire une taxinomie des pratiques et des théories proposées par le politique.
La distinction, entre d’une part la formation d’un esprit à la représentation d’un tout, somme d’éléments, et d’autre part celle à une totalité complexe entre l’unité et le tout, traite de la définition dLorsque le mot est lâché, viennent à l’esprit les nombreux échanges entre les différentes contrées du globe grâce aux progrès techniques, qu’ils soient physiques comme le transport aérien, ou qu’ils soient par représentants interposés comme l’utilisation de l’ordinateur et des réseaux numériques. Cette appréciation ne saisit que l’aspect manifeste du phénomène, elle ne questionne pas les sens que recouvre le radical « le monde » de ce néologisme actuel, la mondialisation.

1-1 En Europe, des conceptions du monde s’imposent et le vocabulaire européen des philosophies propose des compréhensions diverses de cet espace dans lequel l’éducation prend forme.
En premier, la mondialisation est considérée comme une structure du monde, représentative de son évolution ; cette compréhension cosmologique correspond à une définition de la nature de ce monde. Dés Aristote, la recherche du sens de la nature pose le problème de l’apparition des choses. Au cours des siècles, elle s’enrichit de deux pistes de réflexion : l’une porte sur la croissance qui est une complémentarité à l’idée de naissance ; l’autre définit un des caractères propres à la nature : en se dévoilant, elle pose en même temps un voile sur elle-même. Défini ainsi le monde traduit l’idée d’action contenue dans mondialisation, la recherche en éducation prend en compte la compréhension de la naissance du monde, de sa croissance et de son caractère paradoxale, voilement/dévoilement, pour étudier la place de la mondialisation dans son domaine.
En second, un sens ontologique est lié à la représentation du tout et de la totalité par l’être humain, il correspond à la possibilité d’une synthèse entre l’unité et le tout. Pour l’Homme, l’éducation tend-t-elle vers une formation à une pensée complexe sur le monde qui est une approche de la totalité comme synthèse entre l’unité et la multiplicité ou à une pensée unique expression d’une somme qui forme un tout ?
Pour répondre à cette question, la recherche en sciences de l’éducation doit construire les méthodes qui identifient les choix que la société privilégie dans les pratiques éducatives. Ces choix se positionnent sur un axe de la représentation du monde dont l’une des extrémités est une synthèse évolutive du singulier et du global et l’autre est une somme d’éléments équivalente au global.
En trois, la mondialisation est un âge du monde qui trouve une place dans la chronologie des temps historiques. La recherche en éducation traite de la place qu’occupe ce temps historique à travers les formes de l’éducation. Ces études repèrent les critères qui permettent de définir une éducation dans une époque nommée celle de la mondialisation en la différenciant des autres époques. Elle aura à trancher entre soit une continuité évolutive des pratiques, soit une succession de périodes récurrentes, soit des ruptures avec les pratiques antérieures, soit une universalité des pratiques éducatives.
En quatre, la disparition de l’espace et du temps dans les relations entre les Hommes créerait une mondialisation tendant vers un milieu unique et un environnement en tout point semblable quelque soit la diversité des populations. Le modèle de la tour de Babel est là pour signaler l’importance de l’échange verbal entre les hommes dans la construction de ce monde supprimant l’espace et le temps : l’espace, une tour, est réduit à la verticalité, le temps est réduit au but, atteindre le ciel. L’approche anthropologique des langages qui se développent dans des espaces distants et qui se modifient, se développent et évoluent dans le temps, font partie par leur essence de l’éducation prise comme la transmission des connaissances d’une génération à une autre. Dans le monde occidental, les institutions surveillent la prolifération des sens que les Hommes donnent aux langages : c’est l’échec progressif de la communication entre les ouvriers qui conduisent à l’abandon de la tour de Babel et qui entraîne l’échec de ce choix politique et idéologique. La recherche en éducation face à cet aspect de la mondialisation se pose la question des effets de la réduction des diverses interprétations d’un même signe, d’un même syntagme sur l’éducation. En choisissant une posture anthropologique (R. Barthes, 1970), les finalités éducatives tendent vers trois régimes du sens : la monosémie est un système idéologique, social, institutionnel et esthétique, dans lequel on pense que les messages ou les signifiants ont un seul sens ; le régime polysémique est la forme de langage des sociétés qui acceptent le langage mythique qui autorise d’attribuer au même objet des sens multiples. Des régulations se sont faites au sein de ce régime anthropologique du sens entre une acceptation de tous les sens, une hiérarchisation des sens qui accepte la multiplicité mais en privilégie certains, une reconnaissance de la multiplicité des sens mais qui en élit un après débat.
En considérant que les quatre compréhensions du mot mondialisation exposés ne sont point exhaustives pour l’Europe, si nous voulons poursuivre la recherche en éducation dans son rapport à la mondialisation, il est nécessaire de tenter de saisir le sens de cette expression indépendamment de son radical monde dans d’autres domaine que celui de la philosophie européenne.

1-2 Entre mondialisation et globalisation en ce début du vingt et unième siècle :
La contiguïté des politiques françaises avec les politiques anglo-saxonnes doit permettre une traduction aisée du terme mondialisation en anglais ; en fait, il n’en est rien, l’expression anglaise « globalization » ne correspond pas à sa traduction française, globalisation, prise souvent comme synonyme de mondialisation (L.Carroué, 2005).
A travers la déclinaison que l’OCDE, elle comprend trois étapes : l’internationalisation par le développement des flux d’exportation, la transnationalisation par l’essor des flux d’investissement et la mise en place de réseaux mondiaux de production et d’information.
Nous constatons que les deux premières étapes concernent principalement les politiques économiques et financières. Elles font partie de la construction d’une décision d’ordre politique.
La troisième étape, la globalisation, est la mise en place de réseaux de production et d’information, notamment les Nouvelles technologies de l’information et de la communication que les dernières positions gouvernementales françaises de 2008 appellent le « numérique ». Cette proposition peut être analysée comme les deux précédentes et nécessite un débat sur le sens de globalisation. Si nous le considérons comme un alignement sur le sens anglais de « globalization », il nous paraît difficile de nous référer au radical monde puisqu’il prend le sens de « corporate globalization », « market globalization » soit mondialisation du commerce, mondialisation du marché. Il s’agit d’ajuster une politique de la recherche en éducation à une nouvelle situation historique basée sur un modèle économique et financier (L.Carroué, 2005) qui est à la fois une idéologie « le libéralisme », une monnaie « le dollar », un outil « le capitalisme », une système politique « la démocratie », une langue « l’anglais », ce que le ministère chargé de l’enseignement d’Angleterre confirme en supprimant des programmes de l’enseignement secondaire l’obligation de l’apprentissage d’une seconde langue.
Dans ce cadre, la recherche en éducation doit se poser la question de la place de l’éducation, de l’enseignement et de la formation comme secteur d’un commerce et d’un marché qui répond aux deux précédentes étapes définies par l’OCDE. L’enseignement et la formation s’alignent-ils sur la déréglementation mise en place en 1971 qui voit disparaître le système des parités stables entre les monnaies et qui crée une économie virtuelle et un décloisonnement des marchés ? Profitant des satellites, de l’informatique et d’internet, l’enseignement et la formation créent-ils une économie virtuelle déconnectée du système productif comme le signale la mise en ligne des promotions pour les institutions d’enseignement?
Ces questions définissent deux domaines pour la recherche en éducation : l’un définit les stratégies qui utilisent cette pratique technologique pour enseigner et éduquer ; l’autre établit une taxinomie des finalités de l’éducation qui adaptent l’individu à ce discours politique basé sur des textes, des institutions, des stratégies d’information.
Ces deux domaines permettent une réécriture des questions précédentes :
Le champ de la recherche en éducation est-il celui d’une économie virtuelle déconnectée d’un système productif?
Ou est-ce celui d’une économie de production de biens qui lie l’éducation à la production comme ressource supplémentaire pour la production industrielle et transforme la connaissance en un « bien » (J. Baudrillard, 1968) qui est une ressource supplémentaire pour l’individu avec un retour sur son investissement temps et financier (A. Jeannel, 1994)? Les contenus des promotions faites par les organismes d’enseignement post bac traduit parfaitement cette attente des parents et des jeunes bacheliers.
La recherche en éducation trouve là deux domaines d’investigation. Dans le premier, l’économie virtuelle avec son critère d’instantané lie entre elles toutes les parties du monde grâce à un consensus sur un langage commun qui n’est pas une langue, à un seul outil qui est le numérique et à une seule organisation politique et monétaire : idéologie qui pourrait faire appel à la notion d’universalité. De quelle conception de l’éducation relève cette idéologie ?
Dans le second, l’éducation est un « bien » qui est une plus value pour l’individu dans le système économique (A. Jeannel, 1994) et un investissement dans la productivité industrielle qui est nécessaire à l’adaptation permanente des entreprises aux systèmes capitalistes : « Apprendre et créer du savoir est l’un des premiers objectifs de ces alliances » (entre grandes entreprises) (F. Pisani et D. Piotet, 2008). Quelles valeurs l’éducation transmet-elle ?
Présentée sous cette forme, l’enjeu de la recherche en éducation parait spéculatif puisqu’elle utilise académiquement les outils des analyses de discours pour dévoiler ce qui lie mondialisation et éducation. En fait, il n’en n’est rien : l’histoire nous apprend que sous différents aspects, ces idéologies eurent des finalités politiques qui aboutirent à des histoires humaines radicales qui mettent en contradiction la finalité en termes de valeur humaine et la finalité en termes de pouvoir politique. C’est quant l’analyse discursive se fait totalitaire et normative qu’elle évacue le social, la culture et le politique et l’économique

2 MONDIALISATION ET PRATIQUES D’ENSEIGNEMENT.


Cette conception de la mondialisation a déjà influencé les pratiques d’éducation, d’enseignement et de formation.
En analysant les pratiques, la recherche en sciences de l’éducation doit répondre aux questions : e la conception de l’Homme à éduquer dans la mondialisation.
Les sciences sociales et humaines ont à leur disposition les apports théoriques nécessaires pour construire les problématiques de ces champs d’étude. Mais faut-il avant tout planter le décor :
Dans cette forme d’économie proposée par l’OCDE, les différents universaux forment un tout unique : les universaux linguistiques, un seul langage qui produit une pensée translinguistique unique ; les universaux logiques, le numérique ; les universaux sociaux, un monde instantané sur tout le globe et même l’univers avec les stations spatiales.
La recherche doit se donner les moyens d’avoir une approche critique de cette utilisation faite d’universaux. Elle a pour but de mettre en évidence les écarts de conception au sein même des pratiques : Peut-on faire une pédagogie Freinet sans lutter pour que l’école devienne un acteur sur la scène politique locale ? (A. Jeannel, 1994,1995).
Elle dévoile les discours divergents au sein même des discours sur l’éducation, l’enseignement et la formation qui entraînent dilution théorique et amalgame de tous les points de vue : Peut-on dans un même texte de la politique officielle faire l’amalgame entre des références à l’enfant, statut ontologique, et des références à l’élève, statut administratif ? (A .Jeannel, 1975).
Deux exemples permettent de mettre en perspective l’urgence de ce travail face aux pressions qui imposent sans argumentaires et sans discussions le thème de la mondialisation dans les sciences de l’éducation.

2-1 Dans l’Histoire, les projets de mondialisation et l’éducation.
Les régimes totalitaires avec leurs différents régimes ont exprimé cette finalité qui fut chaque fois mise en échec, après les tragédies qu’elle entraîna, par des logiques qui échappaient à ces systèmes. Un travail dans cette direction permet d’analyser les effets diachroniques du choix de cette économie de l’éducation sous ses aspects négatifs et positifs en fonction de la finalité visée.
Il s’agit bien de se saisir d’un débat qui plonge ses racines dans l’histoire de l’Europe et que les crises européennes révèlent. Prenons en une qui secoua l’Europe : la prise du pouvoir par des régimes totalitaires à référence nazie, fasciste et concentrationnaire. Les postures prises par les éducateurs pendant cette période permettent de définir les enjeux que représentent face à une conception du monde de telles choix politiques et les oppositions qu’elles suscitent. D’un côté la volonté que le monde soit unifié sous une seule domination, d’un autre la reconnaissance des autres dans un principe d’altérité.
Les trois principes de la pensée complexe (Edg.Morin, 1990) permettent de construire des problématiques de cette forme d’économie de l’éducation. Le principe dialogique maintient la dualité au sein de l’unité , le propos n’est plus le schéma classique de la quête de l’homogénéité de l’éducation comme but mais de comprendre quand cette homogénéité prend sens (A.Jeannel, 1997); la récursion organisationnelle rompt avec une approche linéaire telle que le schéma proposés dans les étapes de l’OCDE reprises dans la présentation des universaux et situe l’étude dans un domaine propre à l’éducation , « les individus produisent la société qui produit les individus» ; Porteur des concepts dialogique et récursif, le troisième principe définit la logique que la connaissance d’une partie revient sur le tout et en est porteur.
En sciences de l’éducation, confronter cette approche réflexive à la méthode qui sous tend un modèle d’éducation basée sur le modèle de la théorie mathématique appliquée en sciences physiques permet de décrire les actions didactiques et pédagogiques, appliquant les discours et les décisions sur la mondialisation, et sur sa traduction anglo-saxonne, « market globalization ».
La recherche construit de nouvelles problématiques avec d’un côté les trois principes de la complexité et de l’autre la théorie mathématique appliquée aux sciences physiques puis aux sciences humaines et sociales basée sur la linéarité qui inclut la rétroaction et les unités discrètes qui composent un réseau. Cette position épistémologique évite un travail tautologique qui utilise pour l’analyse des pratiques, la méthode utilisée pour la construction de ces pratiques.
Dans le travail quotidien de l’éducateur et de l’éduqué, la recherche en sciences de l’éducation mettra en évidence les références qui correspondent à des mises en œuvre de la mondialisation en répondant aux questions suivantes :
Du point de vue ontologique quel Homme forme-t-on ? Pour quelle société ?
Du point de vue économique, quels sont les gains qu’apporte cette formation à l’individu ?
En élargissant le champ des références théoriques, Ce travail de recherche questionne les utilisations que la mondialisation fait principalement des sciences de l’ingénieur, des sciences psychologiques, sociologiques et des neurosciences présentes dans la construction des politiques de l’éducation, de l’enseignement et de la formation.

2-2 Industrialiser le système d’enseignement : enseignement, fabrication, maintenance. « Ah, que la vie est quotidienne » disait Jules Laforgue. La formule du poète est justifiée par les statisticiens de l’écologie des actes dont les analyses de nos budgets-temps montrent que l’évolution de notre mode de vie dans la société construite autour des nouvelles techniques, tend à multiplier la quantité des petits événements de la vie : micro-actions, micro-événements, micro-plaisirs, au détriment des grands » (A. Moles et E.Rohmer 1976).
Des chaînes d’actes produisent des micro événements ; introduire une machine dans la construction des savoirs des enseignés est bien introduire une chaîne d’actes. La gestion par la bureautique d’une série de situations, dont les buts sont indépendants de la didactique visée, se traduit en actes mineurs comme dans l’exemple qui suit :
A un premier niveau, le traitement de texte peut avoir comme facteur dominant, l’expression écrite, et les micro événements de la bureautique sont autant de rupture dans l’acte d’expression écrite.
A un second niveau, le traitement de texte peut avoir comme facteur dominant, la compréhension du modèle qui a été à l’origine du logiciel et sa traduction sous sa forme bureautique, l’acte d’expression écrite devient mineur. Ces deux niveaux se retrouvent au cours de le recherche documentaire : ils ne représentent que la partie émergée de l’iceberg quand nous considérons que la recherche en sciences de l’éducation traite des modes d’acquisition de l’écriture et de la documentation () mais ils sont propres à l’industrialisation de l’éducation, de l’enseignement et de la formation.
A un troisième niveau, les micro événements résultent d’ «une perception intégratrice de phénomènes petits, qui apparaissent négligeables à la conscience réflexive ». Ces micro excitations subliminaires ainsi suscitées produisent des états d’angoisse qui ont des conséquences psychologiques : micro angoisse, micro plaisir, micro risque de la pratique quotidienne.
La charge psychique déjà grande dans le rapport enseigné/connaissances, enseignant /enseignés, enseignant/ enseignants, enseigné/administration, enseignants/Administration (A. Jeannel, 1977) que devient-elle avec l’utilisation de la machine et du virtuel? Les études sur l’utilisation des machines et des robots dans le monde industriel montrent que leur pratique sur le lieu de travail demande en permanence une veille pour intervenir au niveau de micro pannes (A. Jeannel, 2001) et soulignent l’importance de la maintenance.
Comme le montre « la finalité de la mondialisation » exposée en première partie, les Technologies de l’Information et la Communication font partie d’une société basée sur une économie de marché. Cette économie est fabricatrice d’objets injectés dans la sphère quotidienne de l’être humain pour permettre à ce dernier de réaliser ses désirs en les utilisant comme outils ; cette situation ouvre le champ à un marketing qui propose toujours de nouveaux objets comme le démontre la mise sur le marché de la concurrence de nouveaux ordinateurs, d nouveaux téléphones portables qui rendent désuets le précédent. Dans cette situation, l’activité de l’enseignant, de l’enseigné et du gestionnaire de l’enseignement est une activité de l’utilisateur d’une machine comme producteur d’informations entre les différents partenaires (cours, exercices, corrigés, relevés d’évaluations, informations aux familles à la hiérarchie…) soit un praticien toujours en éveil de la bureautique en plus de sa propre spécificité. Elle est aussi celle d’un consommateur de produits industriels au design complexe, c’est à dire d’un système dépendant du marketing qui s’opèrent dans le champ de la mondialisation dans sa traduction de « market globalization ».
L’étude des situations montre qu’il y a trois apprentissages distincts, trois champs de connaissances distincts, trois objectifs d’éducation distincts (A . Jeannel, 2001).
Comme dans d’autres situations d’enseignement, leur prise en compte dans le système d’enseignement pose la question de leurs différences et de leur coordination entre eux mais aussi avec les autres disciplines d’enseignement.
Elle pose aussi la place que ces apprentissages peuvent occuper au regard de la société dans laquelle grandissent les enfants et les adolescents.
Au niveau de l’architecture du système, les effets des micro événements dépendant des machines viennent s’ajouter à ceux qui sont propres à la transmission du savoir. La recherche en Sciences de l’éducation a pour but de distinguer les tâches liées l’industrialisation de l’enseignement et leur interaction avec les tâches propres à l’éducation.
Dans l’enseignement d’une discipline académique, l’enseignant et les enseignés doivent consacrer leur budget temps à l’acquisition du contenu de la discipline. De ce fait, tout micro événement qui perturbe cette relation au savoir doit être évité dans toute la mesure du possible. Dans un système politique qui industrialise l’enseignement, deux situations viennent alourdir les problèmes que l’enseignant doit résoudre en priorité.
En premier, la gestion de la bureautique avec ses pannes et ses effets de travail posté doit-il appartenir à une autre fonction que celle de l’enseignant ou des enseignés de cette discipline ? Nous constatons parce que les budgets temps ne sont pas extensibles que le travail d’enseignement du contenu de la discipline se dissout dans la résolution de problèmes de bureautique dont la logique ne correspond en rien à la logique de la discipline enseignée pour laquelle la bureautique sert d’outil.
Si cette logique est considérée comme un autre lieu de construction du savoir de l’enseigné, la recherche doit définir les conditions de transmission du savoir, le projet visé par l’institution, les contenus d’enseignement dans ce cadre de la mondialisation. Cette clarification définit le projet pédagogique et didactique en étudiant la place de cette industrie et de ses effets dans la formation du citoyen.
En second, la recherche en sciences de l’éducation a mis en évidence la confusion qui a existé au moment où se mettait en place une volonté d’éduquer le public scolaire au cinéma. Elle consistait à penser qu’expliquer la fabrication du film suffisait à une éducation à la consommation du cinéma (A. Jeannel, J Rongieras, 1983).
Les travaux postérieurs ont montré qu’il était nécessaire de distinguer deux positions avant d’entreprendre une étude des effets de l’une sur l’autre : II y a le langage cinématographique, celui de la fabrication, et le texte filmique qui correspond à l’organisation de la surface de l’écran que fait le spectateur pour donner du sens à ce qu’il vit pendant la projection (Ch. Metz,1968).
De même dans la composition des pages d’un écran, il y a le travail de l’infographe et le travail de l’enseignant qui utilise cet écran dans son projet visé : d’un côté un didacticien et un ingénieur informaticien produisent la page écran dans des conditions économiques et techniques, de l’autre il y a un enseignant dont le but est la construction d’un savoir pour le public dont il a la responsabilité dans une situation pédagogique et didactique. La recherche doit prendre en compte l’étude des contraintes de la production industrielle qui crée chez les enseignés des représentations qui correspondent à la situation technique, sociologique, sociale et économique du mode de la production distinct de celui de la pédagogie et de la didactique. En travaillant sur les histoires de vie des enseignés et le choix de leur orientation professionnelle, La recherche met en évidence la fonction de ces représentations. Ce champ ne met pas en cause une politique publique qui place le numérique comme atout économique et politique pour l’éducation, l’enseignement et la formation, il cherche à expliciter les différents enjeux que cette politique énonce ou ignore.
En prenant modèle sur l’analyse des systèmes (A.Hatchuel et B.Weil, 1992), la recherche en sciences de l’éducation doit clarifier dans la situation de l’utilisation du numérique dans le contexte de la mondialisation : l’activité de l’enseignant qui utilise l’outil à une fin didactique et pédagogique, l’activité du réparateur qui traite du fonctionnement du système lié à la production industrielle, l’activité du spécialiste de la production des outils.
La volonté d’industrialiser l’enseignement avec un objectif de mondialisation nécessite que la recherche fasse des recommandations sur une définition nouvelle des rôles et des fonctions du personnel qui intervient en fonction de la modification structurelle du système et des conjonctures que cette industrialisation provoque.
De telles orientations protègent premièrement les innovateurs en la matière, dont l’épuisement constaté pendant le vingtième siècle provoque oubli des propositions et régression ( A. Jeannel, 1985), deuxièmement l’éducation, l’enseignement et la formation de la tutelle des impératifs de la mondialisation comme « market globalization » et troisièmement la production académique de la dilution théorique des connaissances qui a pour conséquence de mettre la construction des savoirs au service d’idéologies univoques dont l’histoire du vingtième siècle est représentative.

3 TRANSMISSION DES SAVOIRS ET MONDIALISATION :
LE NUMERIQUE ET LE WEB.


Depuis sa création, le Web est au service de la mondialisation du marché et de l’échange des savoirs : « Le Web s’articule…autour d’une poignée de notions contenues dans la formule selon laquelle il s’agit d’une plateforme modifiable à laquelle on accède par des lignes à haut débit, ce qui facilite les contributions qui créent des effets réseaux et ouvre sur une économie de la diversité » (F.Pisani et D.Piotet, 2008).
Ces deux auteurs avancent qu’il faut équilibrer le pôle d’ « individu réticulaire » avec celui de « communauté réticulaire » pour rendre compte de la dynamique qui les anime. Ils proposent l’expression « dynamique relationnelle ». La relation étant un des centres de la transmission des connaissances et des cultures, la recherche en sciences de l’éducation trouve un travail réflexif dans les pratiques mises en œuvre. Elle s’attache à analyser la fonction du web sous trois aspects qui traitent de son domaine :
Le web comme vecteur de mondialisation développe-t-il des éducations qui trouvent leur fondement dans la définition d’une pensée unique émise par une autorité supérieure dont certaines structures des medias traditionnels sont des exemples ?
Le web donne-t-il un autre sens au terme mondialisation en développant une participation active des consommateurs qui vont chercher de nouvelles informations, qui établissent des connexions entre des contenus médiatiques dispersés et qui construisent leur propre relation au monde (Pisani F, Piotet D., 2008) ?
Le Web n’est-il la possibilité de créer des réseaux sociaux représentatifs de multiples systèmes d’éducation soit identitaires soit collaboratifs en fonction d’un objectif d’éducation, d’enseignement et de formation au-delà des limites physiques des espaces géographiques?

3-1 Transmission des connaissances et le numérique.
Ces trois questions sont en rapport avec l’aspect relationnel de la transmission des connaissances et des comportements qu’elles induisent, en considérant que plusieurs formes peuvent exister de l’endoctrinement à la création collaborative d’un savoir collectif. Dés 1948, ce thème fut au centre des débats sur la communication verticale ou la communication horizontale entre le politique, l’administrateur, l’enseignant et l’enseigné : ces débats distinguent la relation interpersonnelle en présence des individus et la communication ou plus exactement la relation informationnelle médiatisée par la machine ( R. La Borderie, 1979).
Une quatrième question intéresse la recherche en sciences de l’éducation, elle porte sur le mode de structuration cognitive liée à la situation d’apprentissage.
Des études empiriques montrent que l’utilisateur qui fait partie de la génération WEB, « digital natives » (M. Prenski, 2004) conduit sa recherche de l’information par association dans la mesure où la structure arborescente en laisse la possibilité. L’utilisateur n’a pas accès au système complexe du programme numérique car la convivialité de l’écran évite l’apprentissage d’une technologie gérée par des ingénieurs et des mathématiciens. Agissant ainsi, l’élève ou l’étudiant cherche l’information (F. Morandi, 2007 ; D.N. Perkins, 1995) sans passer par les classifications académiques avec le risque de devoir gérer l’hétérogénéité des résultats. L’intervention des sciences de le l’éducation se fait à plusieurs niveaux :
Existent-ils des pratiques éducatives et culturelles antérieures qui se réfèrent à ce mode?
Comment la connaissance se construit-elle à partir d’éléments hétérogènes stockés par association et non dans une référence théorique préétablie ?
Quels sont les risques de la dilution de la connaissance, de l’amalgame des points de vue sans une formation didactique et méthodologique ?
Quelle créativité cette pratique apporte dans l’acquisition de la connaissance et dans l’évolution des connaissances ?
Si l’approche historique et anthropologique des modes d’acquisition des connaissances évite les récurrences inutiles, les sciences de l’éducation trouvent dans les sciences cognitives et les neurosciences les méthodes pour construire les problématiques qui permettront à la recherche d’avancer à partir de ces questions.
Ce mode ouvre le champ à deux autres espaces de recherche :
L’utilisateur doit-il avoir une connaissance fine des algorithmes de recherche qui permettent de passer du stockage à l’accès aux informations ? L’utilisateur doit-il acquérir une formation qui intègre les règles de cette combinatoire entre le travail de l’ingénieur et du mathématicien que la convivialité de l’écran occulte pour connaître les lois auxquelles elles l’astreignent tant au niveau de la construction du savoir qu’à celui de son comportement ( B.Devauchelle, 2007)?
Quand il ne passe pas par les classifications académiques, l’utilisateur échappe aux différents éducateurs qui ont la responsabilité de transmettre les connaissances et leurs méthodes d’acquisition. Le savoir comme pouvoir change-t-il de mains ? Quels sont les effets sociologiques et politiques sur les systèmes d’éducation, d’enseignement et de formation ?

3-2 Le Web : entre mondialisation et acceptation des différences cognitives.
Dans leur ouvrage « Comment le web change le monde : l’alchimie des multitudes », F. Pisani et D. Piotet développent, à partir d’enquêtes américaines, le point de vue suivant : l’évolution des marchés dans une économie du numérique doit pour se développer recueillir une diversité d’opinions, indépendantes de toute influence hétérogène telles que sont les normes unificatrices de la mondialisation, market globalization produites par les experts, et accéder à des informations issues des utilisateurs : ce serait la seule voie pour réduire les écarts entre les investissements financiers rentables et les investissements à perte. Cette situation renverse l’ordre des décideurs : le décideur devient l’utilisateur.
La technologie s’effaçant au profit de l’utilisateur, des pratiques individuelles et collectives se mettent en œuvre. La différence entre d’une part les modèles induits par les promoteurs de la production industrielle et d’autre part les différentes utilisations par l’internaute fait passer « d’une communication pro active à une communication souple non maîtrisée » (L.Pisani et D. Piotet, 2008).
La recherche a largement traité cette question à propos de l’utilisation des images et des sons dans l’enseignement en construisant des problématiques qui questionnaient les deux méthodes : celle qui impose le sens, l’autre qui définit les sens possibles et leur position les uns par rapport aux autres (R.Barthes , 1970 ; A. Jeannel, 1977 ; Ch Metz , 1970).
Prenons un exemple : La lecture de Roland Barthes trace des voies nouvelles à la recherche en sciences de l’éducation, comme il sut accompagner élèves et enseignants qui expérimentaient une initiation à la culture Audio-visuelle. A propos des attaques contre « la nouvelle critique » (1966), il écrivait : « Ce que l’on reproche aujourd’hui à la nouvelle critique, ce n’est pas tant d’être nouvelle, c’est de redistribuer les rôles de l’auteur et du commentateur et d’attenter par là à l’ordre des langages »… « en redistribuant les rôles de l’auteur et du commentateur et par là l’ordre des langages ». Il s’insurge contre le fait qu’ « il est professé que le mot n’a qu’un sens : le bon » : « Cette règle entraîne abusivement une suspicion ce qui est pire une banalisation générale de l’image ….A la limite les mots n’ont plus de valeur référentielle, mais seulement une valeur marchande. » Il dirige notre réflexion vers les modèles anthropologiques du sens et la compréhension des modèles politiques qui en résultent : « Mais pourquoi, après tout, cette surdité aux symboles, cette asymbolie ? Qu’est-ce donc qui menace dans le symbole ?... Pourquoi le sens multiple met-il en danger la parole autour du livre ? Et pourquoi, encore une fois aujourd’hui ? » .Quand il ironise en écrivant « Rien n’est plus essentiel à une société que le classement de ses langages. Changer ce classement, déplacer la parole, c’est faire une révolution. », il souligne que tout régime politique lutte pour un classement académique des langages institué par le pouvoir en craignant qu’une atteinte à cette taxinomie ne mette en péril leur autorité.
L’importance des langages et du sens dans la transmission des connaissances et la construction du savoir donnent aux propos de Roland Barthes et à leurs références épistémologiques une forte crédibilité pour construire de nouvelles problématiques de recherche sur l’étude de cette possible évolution de l’utilisation d’un outil : au départ elle est faite pour accompagner la mondialisation dans le cadre d’un marché unique et global, par la suite les utilisateurs en font un outils pour des finalités multiples et diverses en fonction de leurs propres intérêts individuels ou collectifs .
Dans l’acquisition des connaissances et la transmission du savoir, ces deux modes de la construction cognitive apparaissent comme une richesse : ils créent la possibilité d’une adaptation à chaque individu, ils introduisent une réflexion critique sur l’origine des connaissances. C’est, par exemple, une piste pour questionner la pédagogie différenciée en étant attentif que les modes coexistent et que leur accès soit équilibré.
Cette perspective de recherche pose le débat entre d’une part une futurologie qui voudrait que l’évolution technique crée de nouvelles approches cognitives et d’autre part une approche épistémologique qui centre l’éducation sur une approche anthropologique et sociétal. La recherche en sciences de l’éducation est l’étude des relations de l’Homme et de ses différents environnements dans les domaines de l’éducation, de l’enseignement et de la formation, elle n’est pas l’étude des constructions des machines bien que la connaissance des sciences de l’ingénieur puisse guider des analyses comparatives : les sciences de l’éducation font partie des sciences qui étudient l’homme comme son propre créateur et créateur de la société qu’il construit ; elle se distingue par là d’autres sciences telles que les sciences théologiques, les sciences de l’ingénieur ; elle ne nie pas l’existence de ces sciences et elle reconnaît leur influence dans son champ comme un objet d’étude possible quand un résultat de la recherche en sciences de l’éducation les convoque.

3-3 Le web entre mondialisation, communauté réticulaire et dynamique relationnelle.
La possibilité d’échanges horizontaux entre les internautes développe « une communauté réticulaire », une autre façon de désigner le réseau social qui crée « une dynamique relationnelle » (F.Pisani et D.Piotet, 2008).
Dans la première partie, la recherche en sciences de l’éducation prend en compte une représentation de la formation de l’individu située dans le cadre d’une communication verticale hiérarchisée, orientant l’éducation vers une formation homogène unifiée, conforme à une conception de la mondialisation. Les résultats de la recherche empirique propose un autre mode d’utilisation du même support technique, il envisage que les utilisateurs de l’outil technique développent des communications verticales, qui produisent des informations multiples échappant au pouvoir centralisateur et construisant des connaissances multiréférenciées (J. Ardoino et, Edg. Morin 1983), à partir des liens qui s’établissent entre les internautes.
La consultation des sites sur l’éducation, l’enseignement et la formation font partie d’une tendance qui correspond à différents enjeux qui peuvent être économiques, ethniques, sociaux, électifs : il montre que se regroupe sur un site un ensemble d’individus en fonction de critères définis formant une communauté virtuelle : la caractéristique propre aux membres de ces communautés est que chaque élément peut appartenir à plusieurs communautés sans que ces appartenances multiples soient dévoilés aux autres membres. Se développe ainsi un type relationnel qui pourrait pendre en partie comme références les travaux sur la dynamique du groupe, le travail indépendant, le travail autonome, la structuration en sous-groupes de niveau, en étant attentif au fait qu’il s’agit de réseaux
médiatisés par un système technologique riche du « nouveau désordre » digital (D.Weinberger, 2007) et non par la relation directe inter personnelle.
Cette dernière remarque suscite une réflexion propre au domaine de l’éducation sur la place de la relation directe, inter individuelle qu’elle soit duale ou groupale, dans la transmission éducative. Cette substitution par les différentes utilisations du numérique aux relations directes individuelles quelle place occupe-t-elle pour l’éducation, l’enseignement et la formation ? Nous avons vu que sous l’appellation processus de mondialisation, soit cette place se réfère au « market globalisation », à la pensée unique qui est un accès pour tous à un même savoir, soit à une liberté de choix sur le mode de construction cognitive avec la création de multiples formes de communautés. En fonction de la finalité de l’éducation, la recherche en sciences de l’éducation ne peut faire l’économie de mener des études comparatives entre ces deux types de relations, l’un caractérisée par la présence physique des éducateurs et des éduqués et l’autre caractérisée par la place d’un intermédiaire machine pour laquelle la recherche doit questionner le modèle de la communication hérité des mathématiques appliquées aux sciences physiques (W. Weaver et C.E. Shannon (1975) , R. Escarpit (1976), qui demeure dominant.
La volonté politique de créer à partir du numérique une société cognitive est-ce pour répondre à des enjeux économiques et financiers, est-ce pour résoudre le problème social et policier soit de l’insécurité des déplacements des citoyens allant l’un vers l’autre physiquement (D.Boyd ,2008 ) ? Est-ce pour isoler le citoyen de toute manifestation physique de masse, lui rendre inutile la possibilité de réunion publique et contrôler ses échanges ? Est-ce un outil qui, dans une évolution géopolitique de la société, se substitue à d’autres outils sans modifier la structure profonde de la transmission des connaissances et du savoir ?


Conclusion

Ces dernières interrogations trouvent des orientions de travaux dans le champ du questionnement du rapport entre la formation des générations et la technique. Un fait demeure quelque soit l’utilisation du numérique par les différents utilisateurs, producteurs et promoteurs, les échanges qui s’opèrent appartiennent à un type de transmission des informations sur la connaissance, une communication de type téléologique et séquentielle même dans le cas où il y a rétroctroaction (L.Sfez, 1988). La communication humaine et en particulier celle qui traite de l’éducation a d’autres types de communication que celles-ci et ne sauraient être marginalisées par le choix politique de la mondialisation sous sa forme actuelle de « market globalization ». Une confusion entre ce type de communication faite par l’intermédiaire de la machine et d’autres types de communication, plus particulièrement la communication duale ou groupale in praesentia entraîne la prise décision en matière éducative vers un modèle, le tautisme (L.Sfez, 1988). Une fois que la confusion entretenue entre ces deux types de communication est traitée en sciences de l’éducation, la décision politique de considérer comme dominant et efficient le type de la communication médiatisée par la machine pour l’éducation, l’enseignement et la formation fait partie du domaine de la réflexion sur la place qu’occupent respectivement l’Homme et la technique dans la société. La pratique des machines, produites par le travail coordonné des scientifiques, des ingénieurs et des techniciens, induit modes modèles de comportements et de transmission des connaissances. Ce domaine est abordé en France dès l’introduction des machines à communiquer de l’information dont le livre fait partie : nous avons donc une longue tradition d’essais et de recherches sur ce thème. Jacques Ellul, économiste français, expose les choix devant lesquels nous sommes : « Et voici que nous voulons refaire l’unité de l’homme : refaire l’homme… Un homme refait, dans tous les sens du mot. Et que faut-il pour cela ? Recoller les parties séparées par l’avance technique - mais le moyen ? Il n’en est que d’une sorte ; toutes les sciences de l’homme apportent en effet des moyens techniques …Ce qui parait le plus étrange dans ce processus, c’est cette espèce de retournement constant et complexe qui fait que l’application d’une technique destinée à délivrer l’homme de la machine, le soumet d’autant plus rudement à l’appareil. » (J. Ellul, 1990).


Médiagraphie :

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Carroué L. : La mondialisation, genèse, acteurs et enjeux, Breal, 2005.
Commission Européenne : Croissance, Compétitivité, Emploi : Les défis et les pistes pour entrer dans le XXI ème siècle, Livre blanc, 1994
Commission Européenne : Enseigner et apprendre. Vers la société cognitive. Livre blanc, 1995.
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Professeur Alain Jeannel : courriel : alain.jeannel@libertysurf.fr; blog : http://alain-jeannel.blogspot.com/