12 décembre 2008

Actes du colloque tenu à l'Ecole Normale Supérieure de Marrakech les 27 et 28 avril 2007 sous le thème: "Les pratiques de formation et l'approche par compétences."
Editeur: ENS de Marrakech, 2008.
« Entre modernité et connaissances acquises:
Quelle place de la téléinformatique
et de l’enseignement assisté par ordinateur dans la formation des enseignants ? Pour quelles compétences professionnelles ? »

Professeur Alain Jeannel, Université de Bordeaux.
Directeur : Centre Régional Associant le Céreq au SPIRIT Sciences Po Bordeaux.


Introduction : Industrialisation de l’enseignement et Société cognitive.
Un produit industriel est détourné de sa première vocation pour être mis au service de l’enseignement : ce fut le cas de l’imprimerie avec l’édition de textes puis de textes accompagnés d’images qui permit l’évolution de l’enseignement dans la République française au cours du 19ème et du 20ème siècle.
Nous pouvons constater que si les méta discours prennent en compte cette évolution, l’observation du déroulement des classes montre que les pratiques antérieures demeurent : dictée de cours redondant avec le contenu du manuel, utilisation du livre uniquement comme sources de textes d’exercices. Cela pose la question du rapport entre d’une part le mimétisme des comportements que l’enseignant a acquis lorsqu’il était élève en assistant aux pratiques de ses maîtres et d’autre part les fondements de la didactique et de la relation pédagogique quand la parole vient du maître et non de la médiation par un ouvrage dont le maître n’est point l’auteur.
Quand l’utilisation sociale et professionnelle d’un nouveau produit industriel et son poids économique imposent que ce produit devienne un outil d’enseignement, il est nécessaire d’étudier les modifications de comportement attendues chez les élèves pour qu’elles soient prises en compte dans la formation des enseignants et plus largement dans l’information destinée à toute personne concernée par l’éducation. Le problème posé à la formation des enseignants remet à l’ordre du jour la relation soit à la parole de l’enseignant soit au livre scolaire telle qu’elle s’est posée au cours du 19ème et 20ème siècle en France
La reconnaissance de la place des machines à transporter et à traiter de l’information, à mettre en réseau des sites privés et publics construites à partir d’un modèle mathématique se traite en prenant en compte d’une part les modifications sociétales que la diffusion de ces machines provoque et d’autre part les pratiques pédagogiques et didactiques qu’elles mettent en œuvre sans omettre la culture scolaire antérieure dont l’élément dominant est la répétition par le futur enseignant des comportements de ses propres enseignants. Cette évolution scientifique et technologique imprime sa marque dans le système d’enseignement et d’éducation. Ce fut bien l’objet des missions des futures cadres de l’enseignement français en 1948 dans le cadre du plan Marshall (collaboration économique et stratégique entre certains pays européens et les Etats Unis d’Amérique) : il prévoit de modifier le comportement des enseignants par l’utilisation des nouvelles techniques et plus particulièrement par les techniques audio-visuelles (A. Jeannel, 1999).

1 - Enseignement et Sciences cognitives.

A partir des années 1990, le développement de « l’imagerie », qui combine les apports de la machine à calculer et des sciences physiques pour la transmission des informations, permet de mieux comprendre comment notre cerveau fonctionne et comment notre pensée est susceptible de s’y développer. Les résultats de ces recherches réorientent les problématiques des méthodes d’enseignement comme le montre le programme de « l’Institut de Cognitique » de l’Université de Bordeaux en orientant la formation vers les thèmes qui suivent :
Le rapport entre l’Informatique et l’automatisation comprend le traitement du signal, l’informatique cognitive, l’intelligence artificielle, les réseaux de communication, la réalité virtuelle.
L’ingénierie cognitive traite des facteurs humains, cognition individuelle et contraintes de fonctionnement.
L’adaptabilité des systèmes artificiels ou hybrides aux contraintes des fonctionnements cognitifs individuels et collectifs pose les rapports homme/machine et hommes/systèmes-complexes.
Ce développement d’une ingénierie de l’intrusion du « numérique » dans la vie humaine et professionnelle se doit d’aborder les questions de l’ergonomie et du management des systèmes complexes ( A.Hatchuel B. Weil , 1992).

Classiquement, les psychologues ont étudié les événements mentaux et en particulier ceux qui participent à la construction de la connaissance indépendamment d’une connaissance descriptive donnée par l’imagerie médicale du cerveau, qu’il s’agisse de la psychologie expérimentale ou de la psychologie analytique. L’imagerie cérébrale fonctionnelle propose de prendre en compte le cerveau avec la possibilité de construire des modélisations informatiques qui simulent des processus cognitifs : il s’agit de déterminer comment un modèle possédant la structure et les propriétés d’un cerveau peut générer un comportement qui s’inscrit dans les orientations proposées par « l’Institut de Cognitique ».
Si nous commençons à apercevoir les apports des neurosciences en psychologie cognitive, les débats que suscitèrent des pratiques et les apports scientifiques précédents permettent de faire des choix parmi les possibilités qui s’ouvrent.
Prenons comme exemple la modélisation informatique en neurosciences cognitives conduisant à l’élaboration d’injonctions ayant pour objectif de produire un comportement déterminé.
Son application dans l’enseignement pourrait contraindre l’apprenant à des comportements réflexes faisant abstraction de toute distanciation par rapport à l’objet étudié : les pratiques perverses engendrées par des applications du béhaviourisme nous rappellent l’importance d’éviter en éducation toute économie explicative que par exemple les débats autour des travaux de B.F.Skinner (1953) ont mis en évidence et ceux sur les rapports entre l’éthologie et la psychologie expérimentale.
Si la neuroscience ouvre la voie à l’identification des zones du cerveau marqués par les empruntes des traumatismes qui ont marqué la vie de l’individu, elle ne peut identifier les composantes de l’histoire de vie qui constituent la mémoire. Ces traumatismes interviennent au cours des apprentissages, la connaissance des situations précises qui les ont provoqués permettent d’envisager de les abréagir (G. Devereux, 1967, 1951-réédition revue en 1998) ou de prendre acte des processus de résilience (Joyce Aïn, 2007 ; B.Cyrulnik et Edg.Morin, 2000) pour qu’elles ne créent pas un apprentissage rendu impossible.
Sous son aspect formel, l’enseignement programmé basé sur l’utilisation d’une construction informatique pourrait être confondu avec une modélisation de la neuropsychologie ; cependant la confusion entre les deux constructions ferait l’économie de la genèse de ces deux produits d’une architecture liée à l’informatique : l’une a pour origine les neurosciences, l’autre la didactique d’une discipline. La synergie entre ces deux modèles considérés comme fondamentalement distincts ouvre de nouvelles voies à l’enseignement programmé en prenant en compte les caractères propres du cerveau.

2 – Communication représentation et communication expression.

L’introduction des machines à communiquer dans l’espace scolaire et étroitement liée historiquement aux phénomènes politiques, sociologiques et économiques que l’amplification d’un message provoque tant au niveau de son amplitude que de sa diffusion.
D’un point de vue politique, il s’agit de distinguer la communication représentation de la communication expression et d’éviter toutes les confusions qui conduisent à l’effet Frankenstein qu’illustre l’expression « l’ordinateur est son meilleur ami », prendre un outil de communication représentation pour une expression de la relation à l’autre.
Dans la théorie mathématique de la communication (W.Waever et C.E. Shannon, 1949-1975), l’émetteur à partir d’une source d’information transmet sur un canal un signal que le récepteur transforme en message pour le destinataire. Ce modèle qui met en évidence le bruit qui peut exister sur le canal est affiné par la notion de pilotage et de feed Back en référence à la théorie de la cybernétique. Ce modèle de communication met en scène un message qui représente les deux protagonistes : « le message représente l’émetteur auprès du récepteur, à travers des intermédiaires localisés qui représentent eux-mêmes des agents » (L.Sfez, 1988). Ce mode de communication est celui qui relie un individu à une information émise par un autre ou par un groupe en suivant une procédure d’opérations programmées par des ingénieurs, une suite séquentielle de représentations. Ce mode de communication est celui de l’élève face à son ordinateur, celui de l’élève face au maître qui restitue le discours unique d’une institution, modèle implicitement institué en France. Dans ce cas, la transmission de la connaissance existe quand il y a parfaite adéquation entre les différents éléments qui composent la chaîne de la communication quand l’entropie est nulle.
Etant donné que tout effet de retour quand le message n’est pas compris par le destinataire est faite dans la même programmation avec les mêmes codes, il ne peut y avoir progression dans l’échange : Allant de la méthode Assimil rendue célèbre quand des secrétaires pouvaient augmenter leur salaire par l’apprentissage de la langue américaine lors de la victoire de 1945 au didacticiel promu pour résoudre la massification et la démocratisation de l’enseignement, La pratique de machines à enseigner montre qu’elles sont productives au niveau de la transmission de connaissances quand l’émetteur et le destinataire ont les mêmes codes tant au niveau du rapport au contenu de l’enseignement qu’à celui de la motivation à apprendre ; les abondons de ces investissements coûteux prouvent les incompétences cognitives de l’émetteur vis à vis du destinataire et celles du destinataire vis-à-vis de l’émetteur.
Cette situation trouve une correction qui rappelle le débat soulevé entre la parole du maître et l’utilisation d’un support de médiation tel que le livre entre maître et l’élève. Il existe un autre modèle de communication dans la relation entre l’enseignant et l’enseigné, celui de la communication expression. Dans le cas de communication représentation, les sciences cognitives sont un nouvel apport à l’enseignement en posant les bases d’une relation entre le fonctionnement du cerveau et les systèmes numériques transmettant une connaissance, dans la communication expression, les sciences cognitives et plus particulièrement les neurosciences apportent des connaissances sur les émotions, éléments fondamentaux de cette forme de communication.
En passant d’un modèle de communication à l’autre, le registre sensoriel change: dans la « communication représentation », nous sommes dans le domaine du visible qui représente une absence, celui de l’émetteur et de la complexité de l’objet représenté (dans l’image animée d’un homme est absent ses organes vitaux) ; dans la communication expression, nous sommes dans celui de l’audible, du sensible , le rapport au temps devient de l’ordre de la simultanéité et non de celui du temps qui s’écoule pendant les actions successives séquentielles de « communication représentation » . Les êtres dans cette situation de communication expression sont reconnus comme faisant partie d’un tout dans une continuité reproductive et dans une discontinuité aléatoire (Edg.Morin, 1990) ; la communication expression poursuit sa propre finalité, elle n’est plus sous la contrainte d’un ordre séquentielle : certains diraient qu’elle tourne en rond, d’autres pensent que le propre de cette circularité est un processus évolutif qui se construit dans l’interaction (G.Bateson, 1979, 1984).
L’observation de classes montre que ces deux types de communication sont présents. L’introduction de la communication et de l’information par l’utilisation de produits industriels comme l’ordinateur, le tableau électronique permettent de prendre conscience de ces deux modèles, d’en comprendre les processus en analysant que certaines communications dans l’enseignement qui se font en dehors de toute utilisation de machines peuvent être de pure communication de type représentation. Les sciences cognitives apportent leur contribution sans modifier les fondamentaux de la didactique et d la pédagogie, elles apportent les éléments d’une confirmation ou infirmation de certains objectifs de ces deux modèles de communication pratiqués dans l’enseignement.
La compétence professionnelle de la compréhension de ces deux modèles par les membres de la communauté éducative permet aux enseignants d’avoir une analyse réflexive sur les choix politiques qui correspondent à quatre situations différentes :
Un équilibre dans la pratique des deux modes de communication crée une synergie entre la représentation par un signifiant de la connaissance, partie de la didactique, et l’expression sensible partagée entre les enseignants et les enseignés, partie de la pédagogie.
Une priorité donnée au modèle « communication expression » développe une compétence relationnelle entre les participants avec le risque d’une transmission réductrice de la connaissance.
Une priorité donnée au modèle « communication représentation » provoque l’abandon des enseignés qui ne possèdent pas les mêmes références que les enseignants.
Une volonté politique donne les qualités de l’un des modèles à l’autre modèle et vice versa ( E. Landowski, 1989), ce qui provoque l’effet Frankenstein (S.Sfez, 1988) en confondant la décision humaine capable de rupture et la machine, tel que l’ordinateur, seulement capable de reproduire des représentations ( J.Ellul, 1990) ce qui est la spécificité de la production industrielle de séries. Distinguer les quatre modèles de communication pour faire le choix de sa pratique d’enseignement est une compétence dans le sens où elle concerne à la fois un choix éthique avec une valeur morale individuelle et une finalité didactique et pédagogique à valeur déontologique.

3 - Des matières de l’expression.
Comme nous l’avons étudié, précédemment, la communication avec une machine est basée sur l’utilisation de représentations graphiques, d’images visuelles, de sons qui peuvent être co-actualisées ou reçues indépendamment.
Nous assistons à l’apparition de plusieurs situations que la convivialité de l’ordinateur nous fait oublier.
La première est dans la continuité de l’évolution de l’imprimerie la mise en page de textes et d’images sous la forme d’infographie : de la part des concepteurs, cette mise en regard d’un texte et d’une image dans une mise en page significative a la volonté d’établir des liens entre ces différentes matières de l’expression, elle réclame de la part du destinataire trois compétences : celle de la compréhension du texte écrit, celle de l’analyse de l’image analogique, graphique ou de synthèse, celle d’un aller et retour entre un texte et une image.
La seconde est l’apparition de nouvelles images obtenues par des techniques industrielles qui apportent des représentations du monde propres à l’évolution scientifique : elles interviennent directement dans les programmes académiques, à titre d’exemples, nous citons l’échographie obstétricale qui modifie la perception anthropologique de l’enfant à naître (D.Lanoix Rulleau, 1994), et les données visuelles de géographie (photogrammétrie, photographie aérienne et visite virtuelle)).
La troisième est des échanges entre correspondants par le truchement de la machine soit par l’écriture soit par l’oralité soit par la combinaison des deux avec ajout d’images. Il y a ici reprise de certaines situations que le développement du téléphone avait mises en place.
Cette liste n’est pas exhaustive ; elle correspond aux utilisations les plus courantes mais souligne déjà la diversité des apports et des modifications des comportements résultantes de l’introduction de la machine dans l’enseignement tant au niveau de son utilisation que des nouvelles représentations visuelles et sonores qu’elle apporte.
Si traitant de la communication, nous avons posé le problème en termes politiques, ici nous le posons en termes d’apprentissages avec ses deux aspects pédagogiques et didactiques, la multiplication et la combinaison de différentes matières de l’expression.
Il s’agit de distinguer d’une part les pratiques empiriques qui donnent des compétences implicites d’autre part les constructions conceptuelles qui créent des connaissances, base de pratiques raisonnées. Deux orientations sont représentatives de cet objectif d’enseignement : l’une consiste à un apprentissage par la production scolaire d’objets qui utilisent ces matières de l’expression ; l’autre place l’enseignement du côté du récepteur et propose d’analyser ses différents effets sociaux et psychologiques.
La première situation est créative et prend en compte les limites d’un enseignement qui nécessite le choix d’objectifs précis au détriment de la complexité de la production et de la mise sur le marché d’un produit industriel.
La seconde traite de la complexité de la situation de récepteur que l’enseignement résout par le choix de problématiques déterminées et explicitées.
La multiplicité des combinatoires possibles des matières de l’expression et leurs multiples aspects qui résultent pose un réel défi à l’enseignement. Leurs interprétations anthropologiques et sociales nécessitent une veille scientifique sur les liens entre la forme visuelle et la perception visuelle dans l’approche des produits industrielles pour l’enseignement (J. Bertin, 1967). En dehors de la formation académique propre à la discipline enseignée, la formation des enseignants doit faire appel à des connaissances extérieures à la discipline elle-même et des pratiques personnelles issues de l’expérience personnelle et collective du futur enseignant. Cette convergence entre de nouvelles connaissances pour la mise en forme du message et de pratiques issues du domaine privé ou collectif devient une compétence attendue de l’enseignant. Son apprentissage fait partie à la fois d’un mode formel qui s’ancre dans la transdisciplinarité et d’un mode informel qui est de l’ordre de la culture personnelle de chacun.

3 - Individu solo, Individu Plus : Place de l’enseignant dans le monde industriel et économique.
Les réseaux télématiques, les télévisions satellitaires, Internet modifient de l’accès à l’information. Des réseaux capillaires de diffusion se créent, qui offrent des possibilités nouvelles de l’accès à la formation et à l’instruction. En 1995, la communauté européenne constate cette évolution dans le livre blanc « Enseigner et apprendre vers la société cognitive ». Elle préconise une série de recommandations à partir du constat : « De plus en plus la position de chacun dans la société sera déterminée par les connaissances qu’il aura su acquérir. La société du futur sera donc une société qui saura investir dans l’intelligence, une société où l’on enseigne et où l’on apprend, où chaque individu pourra construire sa propre qualification, en d’autres termes, une société cognitive. »
Les nouvelles technologies de l’information, en premier lieu la télévision en deuxième lieu les ordinateurs et internet, provoquent une nouvelle organisation sociale et économique (M.Castells, 1998). Cette organisation promeut une nouvelle organisation de l’enseignement d’une part en déplaçant le centre d’attention du contenu de la matière à apprendre à la manière dont on apprend (« apprendre à apprendre ») (Morais, 1998), d’autre part en introduisant le monde industriel avec ses caractéristiques propres dans la gestion de l’enseignement (A. Jeannel, 2001). « Apprendre à apprendre » considère qu’une fois la méthode acquise, l’apprenant mis en relation avec l’information porteuse de connaissances en fera seul l’acquisition.
Se pose la question de la place de l’organisation traditionnelle de la classe avec un enseignant et des élèves, de l’évaluation traditionnelle du système.
La société cognitive pose en préalable que l’apprenant a à sa disposition de nouvelles sources d’information. A la relation sociale dans la classe et dans l’établissement, à la relation pédagogique s’ajoutent les contextes qu’apporte l’introduction des produits de l’industrie de l’information et de la communication. Cette dimension n’est pas nouvelle : traditionnellement, n’est évalué que le résultat scolaire d’un élève, seul face à sa copie, et n’est pas évalué tout le travail hors l’école qu’il a fourni, remise en ordre des notes de cours, entrainement personnel, la multiplication des contextes. L’extension exponentielle des connaissances et l’accès informatisé aux banques de données nécessitent une réflexion sur ce passage de l’évaluation de l’individu solo dans un face à face à la connaissance à l’individu plus dans une séquence de recherche des informations, suivie de l’acquisition de la connaissance (David N. Perkins, 1988).
Pour que l’apprenant accède à l’information il doit avoir les connaissances suffisantes pour définir l’objet de sa recherche, ce constat montre que la société cognitive ne peut faire l’économie du transfert de la connaissance en préalable au projet « d’apprendre à apprendre », formule tautologique. Premièrement, il faut connaître ce que l’on cherche à apprendre pour mener à son terme un nouvel apprentissage. Cette réflexion sur l’enseignement, que la multiplicité des sources d’information, oblige à se poser montre qu’une discipline implique non seulement une connaissance du contenu mais aussi des finalités et des moyens de cette discipline : les conditions d’accès à la bonne information sont liées à la transmission préalable de la connaissance qui n’est pas de l’ordre de la machine mais de l’interrelation humaine. D’un côté est une dimension univoque séquentielle propre aux logiques mathématiques des machines à communiquer, de l’autre est une dimension plurielle faite de dicible et d’indicible propre à l’Homme : la pensée humaniste distingue l’une de l’autre comme fondement de la liberté, d’autres modes de pensée peuvent envisager leur confusion, ou la place dominante d’une dimension par rapport à l’autre.
Deuxièmement, l’apprenant saisit les concepts nouveaux quand il possède les modèles mentaux visuels et auditifs qui permettent de les saisir. Ces représentations renvoient à l’étude et à la compréhension par l’apprenant des matières de l’expression.
Sous son double aspect champ de connaissance et acquisition des représentations visuelles et sonores, l’apprenant interroge ses multiples environnements pour rechercher l’information qui lui est nécessaire. Avec les nouvelles technologies de l’information, ces contextes dépassent l’environnement physique proche pour travailler à partir de l’ensemble des informations disponibles sur les réseaux de la télématique avec comme objectif que ces supports computationnels soient les éléments de la construction de son savoir (A. Jeannel, 1999).
Cette compétence de l’apprenant est pour l’enseignant une nécessité pour qu’il conserve sa capacité à aider « l’apprenant à grandir dans une société et à en comprendre les connaissances et les savoirs qui la constituent», ce qui est le propre de sa fonction sociale.
Qui dit utilisation de réseaux informatiques dit gestion d’une entreprise. L’individu plus est au centre d’une entreprise industrielle avec une gestion des coûts et de la rentabilité. Introduire une machine dans la construction des savoirs des enseignés est bien introduire une chaîne de micro événements (A. Moles, E. Rohmer, 1978) dépendant de l’écart entre d’une part l’activité d’enseignement et d’autre part l’utilisation d’une machine. A la charge psychique déjà grande dans le rapport enseignant /enseignés, enseignant/enseignants, enseignants/administration, s’ajoute celle de l’utilisation de la machine qui provoque « des micro phénomènes, négligeables à la conscience réflexive ». Toutes les études sur l’utilisation des machines à commande numérique montrent que leur pratique sur le lieu de travail demande en permanence une veille pour intervenir au niveau de micro pannes (Y.Clot, 1995); elles provoquent chez l’enseignant et l’enseigné des micro excitations subliminaires qui produisent des états d’angoisse, micro angoisse, micro plaisir, micro risque.
La connaissance du stress que crée cette informatisation du travail scolaire fait partie de la formation des enseignants : elle débouche sur une formation spécifique qui complète celle sur la relation individuelle et groupale, propre au groupe classe, à la situation des petits, moyens et grands groupes (A. Jeannel, 1997).
La réduction des risques de ces pannes nécessitent une maintenance : intégrer le mode industriel signifie la multiplication des métiers participant à l’enseignement et la pratique d’une relation directe entre ces différents professionnels, l’enseignant et l’apprenant donc une multiplication des référents. Les techniciens interviennent avec leur logique industrielle qui devient une partie du système. Ce fait modifie la gestion budgétaire, augmente le budget de l’investissement en matériel et des échéances de son renouvellement. Ces coûts propres à l’industrialisation des Technologies de l’Information et la Communication résultent d’une production et d’une diffusion industrielles de textes, d’images et de sons, ils font entrer l’enseignement dans un système économique déterminé par les décideurs politiques, économiques et sociaux. Que le choix politique soit une économie de marché, fabricatrice d’objets injectés dans la sphère quotidienne de l’être humain pour permettre à ce dernier de réaliser ses désirs en les utilisant comme outils, situation qui ouvre le champ au marketing, ou une économie dirigée, productrice de coûts à partager entre les différents groupes sociaux pour développer la démocratisation de l’enseignement en permettant à chacun d’accéder à la connaissance, dans les deux cas, les systèmes d’enseignement prennent place dans la recomposition du paysage industriel et économique.
Cette gestion rationalise le temps scolaire en fonction des utilisations des machines. Le temps collectif de la réception d’une information, le temps individuel de l’utilisation d’une machine, le temps de la relation individuelle, le temps de la relation groupale forment une nouvelle organisation des emplois du temps avec des mobilisations différentes de l’enseignant et des enseignants (A.Jeannel, 2001).

Conclusion : Du précepteur à l’enseignant de la société cognitive.

Le danger de cette évolution est de considérer que la téléinformatique et l’enseignement assisté par ordinateur permettent de faire l’économie des processus d’enseignement mis en œuvre précédemment au cours d’une lente évolution, marquée par des faits historiques et des progrès scientifiques sur l’Education de l’Homme.
Le développement des points précédents donnent des indications pour la formation des enseignants.
Leur introduction dans le système d’enseignement met en évidence que certaines activités de l’enseignant ne sont pas prises en compte dans son évaluation telles que les pratiques des deux modes de communication : le développement de cette double compétence accompagnée d’une analyse critique serait un des objectifs de cette formation.
Les formations disciplinaires apparaissent comme des préalables à toute quête d’information. Une fois acquises, elles permettent de comprendre les procédures de la recherche documentaire en suivant les propositions des logiciels pour atteindre l’information recherchée : « apprendre à apprendre » est une tautologie séduisante qui nécessite d’être questionnée sur la valeur de l’acquisition préalable des connaissances, sur la transmission des méthodes qui permettent la transmission des savoirs, sur les séquences qui permettent d’augmenter son champ de connaissances et sur les compétences acquises. Une formation des enseignants situe l’utilisation des machines hors des contextes publicitaires qui les promeut pour les mettre au centre de l’acte d’enseignement. S’attachant principalement à l’évolution de l’acte d’enseigner, Marcel Lebrun questionne les mutations provoquées par l’introduction des technologies et propose des pistes de réflexion sur motiver, informer, analyser, interagir, J.M. De Ketele montre tout l’intérêt de cette approche en soulignant que « les technologies ne sont que des technologies et que leur bon ou mauvais usage est déterminé en référence aux finalités et au contexte éducatif et social. »
Là se situe la formation des enseignants dans la perspective de la société cognitive qui fait une place à l’industrialisation des savoirs pour en assurer la diffusion et l’accès dans le but de permettre à chacun une « formation tout au long de sa vie ,L.L.L.»; cette orientation place l’enseignant dans une entreprise où les professions se multiplient et où les risques se différencient.
La formation des enseignants doit appréhender ce monde nouveau de l’enseignement par une compréhension de la place des machines à communiquer dans l’enseignement et de ses multiples langages et matières de l’expression. Elle doit engager un débat sur la finalité de cette société cognitive où chaque individu doit construire sa propre qualification professionnelle avec la capacité de veiller aux évolutions scientifiques, professionnelles. Cette perspective permet de situer les acquis de la pédagogie, art de conduire l’enfant pour qu’il grandisse, et ceux de la didactique, construction de la transmission d’une connaissance, pour en définir toute l’importance dans la nouvelle organisation politique, économique et sociale de l’enseignement. Les pratiques, les nouvelles connaissances, les savoirs partagés forgent de nouvelles compétences qui, comme toute compétence, mettent en synergie l’espace public et le domaine privé, les pratiques et les théories, l’éthique et la déontologie.

Médiagraphie :
J. Aïn, Résiliences : Réparation, élaboration ou création ? Paris, Eres, 2007.
G.Bateson, La nature et la pensée, Paris, Editions du seuil, 1984.
J.Bertin, Sémiologie graphique, Paris-La Haye,Gauthier Villars-Mouton, 1967. Réédition Paris, Editions de l’EHESS, 2005.
M. Castells, « End of millenium.The information age” , Economy,society and culture,volume III, 1998.
Y. Clot, Le travail sans l’homme ?, Paris, Edts La découverte, 1995.
Ed.Cresson , Vers la Société cognitive, CECA, 1995.
B.Cyrulnik, Edg. Morin, Dialogue sur la nature, L’aube, poche essais, France, 2004
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A. Jeannel - blog : http://alain-jeannel.blogspot.com/
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